Ne nous laissons pas abuser par l’hypocrisie des pompiers-pyromanes   Mise à jour récente !


Jean-François Charezans (photo paru dans Libé)Un collègue enseignant, Dominique Bernard, est décédé lors d’une attaque au couteau dans un lycée à Arras. Trois autres personnes sont blessées, dont un agent du lycée et un autre enseignant. Mes pensées vont bien-sûr aux victimes, aux familles et aux proches des victimes.

Mais par pitié si un tel malheur m’arrive, si je suis tué par un de mes élèves, ne laissez pas tous ces pompiers-pyromanes : institution scolaire, politiques, journalistes… instrumentaliser mon malheur.

Car enfin ce sont ceux qui nous gouvernent qui sont les premiers responsables de la violence qu’il existe dans la société. Comme l’écrivait A. Lacassagne dans « Les transformations du droit pénal et les progrès de la médecine légale, de 1810 à 1912 », Archives d’anthropologie criminelle, 1913, p. 364 : « la justice flétrit, la prison corrompt et la société a les criminels qu’elle mérite ».

J’avais abordé cette question, essayant de « comprendre » qui n’est pas bien-sûr « justifier » dans un article1 sur un jeune homme, Karl Rose, 22 ans qui était jugé début 2017 pour un triple meurtre à la kalachnikov. Le 25 avril 2013, il avait déterré l’arme dans son jardin et avait tiré au hasard dans les rues d’Istres, dans les Bouches-du-Rhône.

J’écrivais alors : « Alors Karl Rose coupable ? Bien-sûr, il doit être jugé pour ses crimes. Bien-sûr, la justice doit le déclarer coupable afin que lui-même puisse se réparer et se reconstruire, et afin que sa victime qu’il a laissée en vie et les proches des victimes puissent se réparer et se reconstruire et ne deviennent pas à leur tour psychotraumatisés.

Mais Karl Rose est-il vraiment le seul coupable ? Ses bourreaux paternels et maternels ne sont-ils pas eux aussi coupables ? Les services sociaux, l’aide sociale à l’enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, ses éducateurs (c’était un souffre douleur  à l’école), ses psychothérapeutes  (quatre ans de psychothérapie ;  il demandait encore à sa mère de voir un psychiatre deux jours avant la fusillade). la justice même, tous ont été gravement défaillants et l’ont abandonné à l’horreur de sa situation. Tous sont coupables de non assistance à enfant en danger. Il faut donc juger et déclarer coupable Karl Rose mais juger aussi et déclarer coupables ses bourreaux et tous ceux qui ont laissé faire.

Mais tous avant d’être bourreaux ou irresponsables sont aussi victimes. Il ne faut donc condamner ni Karl Rose, ni ses parents, ni tous ceux qui ont une responsabilité dans cette affaire, il faut condamner les crimes et les délits mais ne pas condamner les personnes. Il faut plutôt les aider à se réparer et à se reconstruire en sortant de leurs psychotraumatismes.

La prison, l’hôpital psychiatrique, sont la pire des solutions. Ils sidèrent et dissocient et font donc perdurer et augmenter tous les symptômes liés à la déconnexion : troubles de la mémoire, mémoire traumatique, troubles de la personnalité, vulnérabilité au stress, image de soi très négative. En clair ils font perdurer le déni et la violence. Non, comme le demande Muriel Salmona à grands cris, il est urgent d’ouvrir des centres de soins spécialisés pour les personnes psychotraumatisées. Des centres de soins qui pourraient être sur le même modèle que ceux qui s’occupent des personnes alcooliques dont le plus bel exemple est le Shale près de La Rochelle2 ».

Et, bien-sûr, il faut une école humaine et solide. Or, non seulement ceux qui nous gouvernent sont les premiers responsables de la violence qui existe dans la société mais, et je ne développerais pas ici, ce sont aussi les premiers responsables du dévoiement de l’école et de sa destruction systématique.

Enfin, ceux qui nous gouvernent et l’institution scolaire, mènent une lutte d’élimination acharnée contre certains professeurs qu’ils jugent indésirables. En 2021 j’écrivais concernant l’assassinat de Samuel Paty : « Il y a un peu plus de trois ans à la mi-journée, je buvais un pot avec mon collègue et néanmoins ami Riccardo à la terrasse d’un café sur l’une des places de Poitiers. Riccardo que je connaissais depuis plus de vingt ans était prof d’italien en congé longue durée, à quelques brasses de la retraite. Avant d’être placé en congé longue maladie, il avait été suspendu avec plein traitement, suite à des lettres de dénonciation de parents d’élèves. Il paraît qu’il terrorisait les élèves. Mais cela ne semblait pas très méchant. Il leur disait entre autres : « j’ai commencé enseignant et je finis en saignant ». Sa suspension avait été si scandaleuse qu’elle avait motivé le premier droit de retrait posé collectivement par les professeurs du Lycée Victor Hugo de Poitiers, contraignant la proviseure à venir s’expliquer en salle des profs. Mais rien n’y a fait et Riccardo malade alcoolique en burn out a continué de dériver sans que personne ne lui apporte l’aide dont il avait besoin.

Nous étions donc tranquillement en train de boire ce pot lorsqu’une jeune fille de 18 – 20 ans est venue vers nous. J’ai compris rapidement qui elle était : l’une des élèves à l’origine des lettres de dénonciation. Elle a dit à Riccardo qu’elle s’excusait, qu’elle n’était pas d’accord pour que ses parents et elle écrivent cette lettre, mais que la proviseure avait tellement insisté, usant même de menaces, qu’ils s’étaient sentis forcés. Riccardo l’a remerciée et, l’un comme l’autre, je les ai sentis soulagés. Deux mois plus tard, Riccardo décédait d’un cancer du foie généralisé.

Couper la tête d’un prof est une méthode d’élimination rapide et visible qui déclenche à juste raison des réactions horrifiées. Par contre l’élimination lente par des méthodes quasiment policières voire mafieuses et des procédures administratives ubuesques et usantes, est tellement invisible qu’elle ne déclenche que peu, voire aucune réaction collective. Il s’agit de constituer un dossier afin de « charger » l’indésirable, de le « faire tomber » et de l’éliminer. Technique datant de la guerre contre-insurrectionnelle en particulier en Algérie3, adaptée à la répression des jeunes de banlieues, des sans-papiers et des fous, en somme des faibles et des fragiles, puis des jeunes activistes communistes-libertaires, bref à tous les indésirables. Puis à leurs soutiens et à ceux qui avaient le malheur de dénoncer ces pratiques4 .

[…] Cet article est écrit en souvenir de Riccardo Scantamburlo-Vigilia bien-sûr mais aussi en celui de Vincent Guicharnaud lui aussi professeur au lycée Victor Hugo de Poitiers et décédé le 11 février 2018 à 53 ans d’un arrêt cardiaque lors d’un match de rugby en Écosse5. Il est bien commode de croire que c’est le rugby qui l’a tué. Ne pouvons-nous pas plutôt penser que c’est le rectorat et ses méthodes de gestion du personnel ? Quelques temps avant son décès, suite à la dénonciation par des élèves de certains de ses propos, il a subi une inspection-sanction qui s’est très mal passée et qui l’a énormément affecté. La dernière fois que je l’ai croisé et qu’il m’a raconté son histoire, il était complètement en dépression. Élimination lente ! Justice doit leur être rendue, à lui, à Riccardo, aux 4 de Melle et à tous les autres ! ».6

2Addenda du 14 octobre 2023 : Pour des raisons de pures restrictions budgétaires, le Shale a réintégré l’hôpital de La Rochelle et a perdu son âme.

3Voir Mathieu Rigouste, L’ennemi intérieur, La Découverte, « Poche / Essais », 2011, 364 pages. Nous avons l’exemple de ces procédés destructifs avec les sanctions des 4 de Melle et des 3 de Bordeaux. Alors que le sang de Samuel Paty avait à peine séché, la rectrice de Poitiers a pris des sanctions scélérates malgré les avis des commissions de discipline, en particulier un déplacement d’office d’ une enseignante à 70 km de chez elle au cours de l’année scolaire qui a forcément des conséquences personnelles dramatiques. Et, je suis bien placé pour anticiper le harcèlement voire l’acharnement dont peuvent être victimes ceux qui osent tenir tête à la hiérarchie, en particulier le fait pour mon jeune collègue titulaire sur zone de remplacement qui été sanctionné contre l’avis de la commission de discipline qui a voté majoritairement pour aucune sanction, d’une rétrogradation d’échelon (il repasse à l’échelon 1) qui n’est plus en poste complet sur le lycée de Melle, mais sur deux lycées différents. Pas besoin de lui couper la tête, l’usure générée par les conditions difficiles d’enseignement fera certainement son effet ! [Addenda de janvier 2021 : le Tribunal administratif de Poitiers a fait subir un gros revers à la rectrice en cassant le déplacement d’office et en réintégrant cette collègue dans son poste. Les autres recours sont en cours] [Addenda du 27 avril 2021 : Nouvelle victoire : le Conseil d’Etat a refusé le pourvoi en cassation du ministre de l’Education nationale https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/affaire-des-4-de-melle-le-conseil-d-etat-rejette-le-pourvoi-en-cassation-1619448506 . [Addenda du 7 décembre 2022 : Revers : Le tribunal administratif a donné raison au rectorat dans le jugement sur le fond de l’affaire dite des « 4 de Melle », à la suite de la perturbations des épreuves du bac au lycée Desfontaines en 2020. Deux enseignants contestent les sanctions prises à leur encontre et comptent faire appel.https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/affaire-des-4-de-melle-la-justice-donne-raison-au-rectorat-sur-le-fond-4198054 ]

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