Le mot du président du Centre Socio-Culturel des 3 Cités mai 2007   Mise à jour récente !


 

 

 

 

 

 

Le mot du président, discours à l’assemblée générale de l’association des centre socio-culturels des 3 Cités en mai 2007.

Quelle place et quel rôle du Centre Socio-Culturel sur le quartier des 3 Cités ? Du contrôle social à la participation des habitants.

Par Jean-François Chazerans – Président

Il y a un an je n’étais pas encore Président et je me faisais des idées, et même des idées fausses sur le Centre et sur le quartier. J’ai travaillé à m’en débarrasser. Je ne voudrais donc pas porter des jugements trop hâtifs sur tout cela et si malgré tout je le fais, je vous demande de m’en excuser. J’ai l’impression d’avoir découvert de nombreuses choses cette année passée et je profite de l’occasion qui m’est offerte ce soir pour en témoigner et le partager avec vous. Je voudrais aussi préciser clairement la ligne politique qu’à mon sens le centre suit et les principes qu’il me semble avoir. Peut-être que cela peut paraître trop intellectuel ou trop théorique. Si cela était le cas, veuillez m’en excuser car ce n’est absolument pas l’objectif poursuivi qui est de préciser ce que j’ai ressenti.

L’architecture et l’organisation de notre quartier des 3 Cités ne sont-elles pas l’expression d’une politique de surveillance et de contrôle des couches qui sont considérées sans humour comme les plus dangereuses ? Nous sommes 12 500 habitants dans notre quartier et c’est, surtout l’hiver, un no man’s land dès la tombée de la nuit. On ne s’y promène que peu la journée et on ne s’y arrête pas comme on peut le faire au centre ville. On n’y fait que se déplacer d’un point à un autre. Dès que la nuit tombe, une sorte de couvre-feu implicite impose qu’on limite les déplacements même ceux effectués en voiture. Les quelques commerces ferment à 19 heures et les trois cafés, au plus tard, à 20 heures. Avec la loi sur la sécurité intérieure de 2003, les ados, ne pouvant plus se réunir dans les cages d’escaliers, n’ont le soir nulle part où aller. On assiste à des phénomènes qui sont loin de ce qu’on nous raconte dans les journaux télévisés. En effet, ce qui est inquiétant ce n’est pas tant que les gosses traînent tard dans les rues mais, sous prétexte d’insécurité et comme leurs parents sont culpabilisés, qu’ils soient enfermés chez eux, se gavent de télévision et n’ont plus d’ouverture culturelle et sociale.

Cette vision peut paraître catastrophiste et être le propos de quelqu’un d’extérieur au quartier. Le soleil de ces derniers jours peut faire croire que les choses ne pas si noires mais posons-nous quand même la question : est-ce que l’objectif de toutes ces politiques c’est le bien être de la population ? L’objectif ne serait-il pas plutôt la mise en place de procédés complexes pour empêcher le désordre c’est-à-dire, avant tout pour ce qui intéresse le quartier, les troubles récurrents dans les cités ? Nous avons assisté ces 50 dernières années à la mise en place d’une politique de la division, de l’atomisation et de l’isolement. De hauts immeubles séparés par de grandes avenues ont été construits. Des lotissements pavillonnaires ont cerné les cités de logements collectifs. Des appartements sonores propices aux conflits de voisinage et au mépris des autres ont été proposés à des habitants qui en sont donc arrivés à ne plus se parler et à vivre dans la méfiance les uns des autres. Nous fonctionnons sur le mythe de l’égalité des chances et de l’ascenseur social qui, non seulement est depuis longtemps en panne, mais produit une stratification sociale qui fait souffrir. Depuis le début des années 60, la plupart des habitants qui réussissent socialement quittent le quartier, font construire leur maison ailleurs à Poitiers ou dans les environs ou vont simplement habiter dans des quartiers plus privilégiés. Restent les plus fragiles et les plus démunis. Arrivent alors de nouveaux habitants, souvent de cultures très différentes et le même processus se met en place. Ceux qui réussissent s’en vont ailleurs. Restent encore les plus fragiles et les plus démunis et ainsi de suite. Ces couches de décantation ne produisent-elle pas un tissu social délétère dans lequel le voisin ne peut que détester le voisin qui réussit mieux que lui ou, à l’inverse, qui est jaloux de sa réussite ?

Beaucoup considèrent que les habitants du quartier en particulier ceux des « tours » ne sont pas actifs et se demandent comment faire pour qu’ils sortent de chez eux et participent à la vie sociale. Mais, n’est-il pas évident que cela dérive de tout ce contexte ? N’est-il pas évident qu’entre les élus et leurs techniciens qui décident et les habitants qui subissent et ne semblent pas avoir leur mot à dire, il y a toute une catégorie d’acteurs, locaux comme on dit…, éducateurs de rue, assistantes sociales, agents de développement CAF, bailleurs sociaux, animateurs socioculturels, comité de quartier, associations, profs et instits… qui sont chargés de transmettre les bonnes paroles, de faire accepter les décisions et quelquefois de les mettre en œuvre. Nous avons assisté, ici même au Centre Socio-Culturel Place de France, le mardi 4 octobre 2005, soit quelques jours avant l’insurrection des banlieues, à une réunion « prévention de la délinquance ». Il y avait sur l’estrade des hauts fonctionnaires et des élus : directeur de cabinet du préfet, directeur général de la police, procureur de la république, adjoint au maire, représentant du capitaine de gendarmerie. Au premier rang, il y avait les représentants du conseil général et du conseil régional, l’inspecteur de l’éducation nationale représentant l’inspecteur d’académie. Dans la salle les « acteurs locaux » et aucun habitant des tours…

Très rapidement j’ai compris ce qui était attendu de nous : qu’on fasse passer le message. Comme un acteur local faisait part de son inquiétude par rapport à la situation qu’il jugeait aussi explosive qu’en 93. Je rappelle qu’on était début octobre à quelques jours des émeutes. Le directeur général de la police lui a répondu que les 9 fauteurs de troubles qui perturbaient le quartier depuis mai dernier en brûlant les poubelles, cassant les abris de bus et les lampadaires et en jetant des cocktails Molotov sur le commissariat, ont été mis hors d’état de nuire. On pouvait donc dormir sur nos deux oreilles et surtout le dire partout autour de nous. Quinze jours plus tard, le commissariat du quartier, fermé le nuit pour cause de restrictions budgétaires, a été attaqué à coup de marteau (49 coups) et les banlieues des grandes villes s’embrasaient.

A quoi servent donc tous ces acteurs locaux ? Certains semblent chargés dans un premier temps de saupoudrer un peu de bien être. Mais, à y regarder de plus près, n’ont-ils pas pour principale fonction d’éviter la révolte et le désordre en empêchant les habitants des tours de prendre conscience de ce qui se passe réellement ? Ne sont-ils pas chargés de mettre en place des procédés pour occulter les difficultés et les problèmes ? Comme l’avait judicieusement fait remarquer Henri Queuille (1884 / 1970) qui a été député et sénateur entre les deux guerres « La politique, ce n’est pas de résoudre les problèmes, c’est de faire taire ceux qui les posent. » Si cela ne marche pas certains acteurs locaux sont chargés de monter des projets les plus restreints et les moins coûteux possibles, à moins que les décideurs ne les montent eux-mêmes. Puis on leur demande de les mettre en œuvre et de faire passer l’information.

Où sont donc les habitants du quartier dans cette manière de procéder ? Si on le juge utile, on les informe en faisant une réunion dite de concertation. Sinon, on laisse les acteurs locaux diffuser informellement l’information. De toute façon, s’ils sont informés, les habitants ne sont pas consultés et ne semblent exister qu’en tant qu’ils sont représentés soit par leurs élus soit par des associations.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Le 26 octobre 2006, les acteurs du quartier se sont réunis pour décider ensemble de l’attitude à tenir face au déclassement du quartier des 3 Cités. De quartier prioritaire dans le précédent Contrat de ville, il était rétrogradé par l’Etat dans le « droit commun » dans le Contrat Urbain de Cohésion Sociale. Pourtant nous satisfaisons malheureusement à 11 des 12 indicateurs définis par l’Etat et cette décision est incomprise que ce soit par la municipalité ou par la préfecture. Si nous mettons en perspective cette décision avec celle de supprimer la ZEP (redéploiement des moyens sur les quartiers qui ont brûlé à l’automne 2005 ?) et celle de la CAF de baisser les subventions (à cause du déficit budgétaire…), n’allons-nous pas vers un nouvel embrasement des banlieues, surtout de celles qui n’ont pas brûlé à l’automne 2005 ? En tout cas nous pouvons dire que rien n’est fait en haut lieu, au contraire, pour que cela n’arrive pas. Devant les protestations, l’Etat a fait machine arrière mais cette alerte de restriction budgétaire est instructive car elle semble entrer en contradiction avec la fonction de contrôle social des acteurs locaux. Pourquoi menacer de ne plus nous donner les moyens d’assurer ce rôle ? Il faut se rendre à l’évidence, l’Etat n’est plus providence et tente de supprimer même cette infime redistribution qui accompagne nécessairement le contrôle social.

D’autant plus que certains des acteurs locaux, les centres socio-culturels des 3 Cités en sont, ont clairement choisi leur ligne de conduite. Nos trois orientations du contrat de projet 2005-2008, 1- développer auprès des habitants une écoute attentive, un accueil chaleureux et favoriser tous les échanges possibles ; 2- accompagner les préoccupations quotidiennes des habitants, en favorisant l’action collective, en s’appuyant sur la complémentarité des ressources, entre habitants, groupes et réseaux ; 3- soutenir les projets des habitants et des associations du quartier, en s’appuyant sur un projet associatif fort, indiquent un parti pris explicite : ne pas faire à la place des habitants, ne pas décider pour eux mais les accompagner pour qu’ils accomplissent et réalisent ce qu’ils souhaitent eux-mêmes. Ce n’est en aucun cas une lubie démagogique mais un réel principe qui guide notre action. Si le Centre se doit de reconnaître et d’expliciter son rôle dans le contrôle social afin de s’en défaire progressivement, il doit reconnaître que son rôle va aussi, depuis un certain temps, au-delà. Il doit reconnaître qu’il n’est plus au service des seuls décideurs mais des habitants, qu’il doit briser les barrières afin de réduire les distances et d’établir une relation de proximité entre les habitants. Enfin, puisque cela ne peut se faire qu’avec la participation de tous et dans la relation et le lien social de tous avec tous, qu’il fasse circuler la parole afin de rompre l’isolement et la division.

Un exemple de cette transformation aujourd’hui plus évidente pour finir : le projet intergénérationnel de l’immeuble de la rue René Amand à Saint Cyprien. Cela semble être un réel défi pour le quartier, pour la ville et même pour la société. Il implique une réelle innovation et demande de faire l’effort d’expliciter et peut-être de changer de point de vue et de pratique sur le lien social en général et sur la relation avec les personnes âgées en particulier. Beaucoup de monde a son idée dessus. Nous pensons, quant à nous au Centre, que ce projet ne pourra se faire qu’avec les habitants, c’est-à-dire en réelle coopération avec eux pour réaliser ce qu’ils souhaitent vraiment. Pour y arriver nous mettrons tout en œuvre pour qu’ils puissent exprimer eux-mêmes dans quel cadre ils veulent vivre. Mais il faut se rendre ici aussi à l’évidence : ce beau projet prometteur n’est toujours pas, à ce jour, accepté par l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine.

Tout ce discours ne doit évidemment pas faire oublier le dynamisme du Centre toute cette dernière année. D’abord, par le volume d’activités qui m’a toujours impressionné et que nous allons découvrir en détail par la suite. Ensuite, par l’investissement personnel et l’engagement de tous : les bénévoles qui ont donné beaucoup de leur temps (sans oublier les administrateurs toujours présents) ; les salariés toujours impliqués dans leurs multiples activités ; et Vincent Divoux qui m’a toujours accompagné cette année avec patience et gentillesse. J’adresse mes remerciements à tous, ainsi qu’à nos partenaires institutionnels et associatifs. J’adresse aussi mes remerciements à tous les financeurs, entre autres, la Ville de Poitiers, la Caisse d’Allocations Familiales, l’Etat, le Conseil Général et tous les autres.

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