Les débats philosophiques à la maison d’arrêt de Poitiers 2005-2006   Mise à jour récente !


Apprendre en philosophantIl était prévu au projet que ce ne seraient pas des cours magistraux de philosophie qui seraient proposés. En effet, une préparation au Diplôme d’Accès aux Etudes Universitaires1 avait déjà été dispensée mais elle ne touchait que deux ou trois personnes et avait été abandonnée. L’objectif était, entre autres, de faire venir, à côté de quelques très rares privilégiés culturellement, un public qui ne venait pas spontanément à l’école de la maison d’arrêt. Cela a été grandement favorisé par le fait que l’activité soit une pratique orale. Les débats philosophiques n’ont donc pas seulement profité à des détenus dont le niveau scolaire était de l’école élémentaire ou du 2nd degré, mais aussi à ceux qui ne savaient pas écrire et qui sans cela ne seraient peut-être jamais venus à l’école. Il faut préciser ici que le projet a été mis en place en partenariat entre les enseignants de l’école et un psychologue du Service Médico-Psychologique Régional.

Il y a eu 19 séances d’une heure et demie, entre 4 et 12 détenus par séance soit 133 présents sur 19 séances ce qui fait une moyenne de 7 personnes. Dans le projet nous avions pensé mettre en place une séance d’une heure et demie par quinzaine. Mais, dès le début, il est apparu avec évidence qu’il fallait que la régularité soit hebdomadaire. Ceci pour au moins deux raisons :

1) les débats répondaient à une vraie demande des détenus qui auraient du mal à attendre si longtemps entre deux séances

2) le contexte de la maison d’arrêt : beaucoup de détenus en préventive, faisant qu’il y a un fort roulement, et l’objectif de fidéliser les détenus et constituer un noyau dur, nous contraignait à raccourcir le temps entre deux séances.

Les sujets choisis ont beaucoup tourné au début autour des conditions de détention et de la situation des détenus. Cela n’est pas étonnant puisque j’avais déjà remarqué que les groupes, comme les individus, ont souvent tendance à utiliser le débat philosophique pour s’autonomiser c’est-à-dire comme moyen pour régler toutes sortes de difficultés existentielles concrètes et autogérer les relations. Vu le quasi secret de ce qui se passe en prison et la tendance qu’a la société de l’occulter carrément, ce passage obligé était nécessaire pour que les détenus puissent m’exprimer, à moi qui suis de l’extérieur, leur vécu et puissent aller à l’encontre de la dénégation sociale. C’était aussi nécessaire pour moi d’écouter afin que je puisse porter mon regard, comprendre la situation, leur exprimer mon sentiment et témoigner à l’extérieur.

Une des conséquences de cette catharsis a été que le nombre des participants a diminué vers le milieu de l’année. En effet, certains détenus auraient préféré s’aérer l’esprit avec des sujets plus divers et, après avoir constaté qu’il s’agissait là encore de ce qu’ils vivaient tous les jours, ne revenaient plus. Peut être étaient-ils eux aussi dans le non-dit, le secret et la dénégation ? Peut-être aussi que certains problèmes ne peuvent être abordés qu’en petit groupe ? Toujours est-il que la phase de mis à plat a eu lieu. Le passage du débat-philo de 13h45 à 15h15 au lieu de 15h15 à 16h30, c’est-à-dire à un moment entrant en concurrence avec des activités physiques (musculation) et la promenade a désorganisé aussi un peu le groupe et a peut-être été une autre cause de désaffection. La venue de détenus qui ont détourné le débat pour leur propre intérêt, dirons-nous, a été une troisième cause de désaffection. Le bouche-à-oreille ayant très bien fonctionné, les participants ayant invité leurs amis, le public est devenu homogène et a fait progressivement fuir ceux qui étaient différents. Cela a été doublé par le fait que nous n’avions pas mis en place des règles de participation explicites. Les détenus, pour la philosophie comme pour n’importe quelle activité de l’école, s’inscrivent à l’avance pour toutes les séances. Comme nous n’avions pas, comme cette année (2006-2007), décidé collectivement qu’un détenu ne venant pas trois fois de rang soit désinscrit pour laisser sa place à quelqu’un sur la liste d’attente (quitte à se réinscrire par la suite), les inscrits qui ne venaient pas ont bloqué l’accès aux nouveaux et ont empêché un moment l’hétérogénéité de s’installer. La fin de l’année s’est quand même déroulée avec un groupe un peu plus nombreux et beaucoup plus hétérogène.

Le bilan par rapport aux objectifs du projet est très positif. Concernant les objectifs philosophiques, les détenus ont pu s’initier à la pensée construite, rechercher l’autonomie de la pensée, user raisonnablement de la parole et aborder des problèmes philosophiques. Surtout au début et à la fin de l’année, la parole « intempestive » a été assez bien régulée pour privilégier l’écoute entre les participants et la réponse rationnelle. Concernant les objectifs citoyens, les détenus ont pu adopter une attitude autonome et responsable dans leurs prises de positions et réfléchir ensemble sur des questions auxquelles l’individu ne trouve pas de réponses seul. Concernant les objectifs de développement personnel, les détenus ont pu développer l’estime d’eux-mêmes, entraîner et enrichir leur langage et parfaire leur culture générale.

Quelques sujets débattus

Que pensez-vous du racisme ?

Quelles sont les motivations d’un magistrat pour donner une peine ?

Quelles sont les motivations qui poussent au suicide ?

Qu’est-ce qui se passe en banlieue ?

Pourquoi vivre les différences ?

Où est la liberté

Comment envisage-t-on la sortie après une lourde peine ?

La vie en détention.

Touki Williams.

Va-t-on vers une guerre de religion ?

Qu’est-ce qu’un ami ?

Faut-il quelquefois mentir ?

Pourra-t-on supprimer les prisons ?

Est-ce que sucer c’est tromper ?

D’ou viennent les maladies psychosomatiques ?

Comment se définir ? Sujet Choisi

Qu’est-ce que l’argent facile ?

Pourquoi ne pas donner de l’argent à tout le monde ?

 

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1 DAEU, l’équivalent du baccalauréat qui permet de suivre des études universitaires.

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