Les banlieues flambent   Mise à jour récente !


Il n’y a pas eu d’émeutes l’automne dernier à Poitiers. Pourtant, par le passé, j’ai eu plusieurs fois ma voiture vandalisée ou accidentée. Le commissariat du quartier a été attaqué en juin 2005 à coup de cocktail Molotov et à coup de marteau (49 coups) en octobre juste avant l’insurrection des banlieues parisiennes. Des voitures et des poubelles brûlent assez souvent et les gens ont peur et en ont assez.

On pourrait s’arrêter à ce constat comme le font ceux à qui on a pas laissé la possibilité de penser par eux-mêmes, mais il faudrait rajouter par exemple que les Krasniqi, une famille de Rom en situation irrégulière inconnue des services de police, qui avait un fils scolarisé, a été, dans l’indifférence quasi générale, cette même fin d’octobre, reconduite à la frontière. Nous nous battions aussi à l’époque pour que le même sort ne soit pas réservé par la préfecture à une famille Kurde du quartier. Il y a ainsi encore aujourd’hui sur le département de la Vienne plusieurs centaines de « sans-papiers » pourchassés et raflés par la police. Même le sont ceux qui, suite à leur grève de la fin de juin dernier, avaient une promesse de régularisation de la part de la préfecture !

Et puis les détenus avec lesquels je fais des débats philo à la maison d’arrêt ne sont-ils pas tous des blacks-beurs-gitans c’est-à-dire venant des cités ? A ce sujet que penser des conditions de vie d’être humains qui survivent à 3 ou 4 dans 12 m2, qui n’ont des cloisons séparatrices de WC que depuis 2 ans, qui doivent payer leur télévision, la nourriture supplémentaire, les cigarettes etc. et dont les « indigents » sont pris en charge par le secours catholique ?

Les taudis sont de plus en plus nombreux. La Vienne compte 12% de logement indignes c’est-à-dire que 70 300 logements sur 662 000 sont inconfortables, manquent de chauffage ou de sanitaires, ont des peintures au plomb et sont dans un état de vétusté avancé. La commune résidentielle St Benoît qui jouxte mon quartier, est montrée du doigt pour n’avoir pas assez de logement sociaux, il leur en manque 250 et aucun logement social n’a été livré en 2003 et 2004 et un seul en 2005 ! Par contre en 1999 la part du parc social, comprendre les « cités », sur l’ensemble des logements du quartier était de 47 %.

Avec l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine, certains immeubles sont détruits, mais les habitants dont certains ne peuvent payer que 25 euros par mois ont du mal à être relogés dans les logements neufs (minimum 500 euros par mois pour un F4 sans compter le garage et le jardin). De plus, l’office de HLM en profite actuellement pour parquer les locataires les plus associables (ceux qui au chômage vivent la nuit, picolent et mettent la musique à fond jusqu’au petit matin ou encore ceux qui jouent à la pétanque au 5ème étage…) dans l’immeuble qui ne sera détruit 2008. J’ai rencontré avec le comité de quartier les locataires les plus anciens qui n’ont pas pu faire autre chose que de rester, le regard vidé par les anti-dépresseurs et les somnifères, qui ont renoncé à appeler la police vu qu’elle ne se déplace même plus et qui réclament de la vidéo-surveillance sur le parking pour protéger leur voiture. Sinon ils prendront leur fusil disent-ils…

Nous sommes 12 000 habitant dans mon quartier et c’est un no man’s land dès la tombée de la nuit. On ne s’y promène que peu la journée et on ne s’y arrête pas comme on peut le faire au centre-ville. On n’y fait que se déplacer d’un point à un autre. Dès que la nuit tombe, une sorte de couvre-feu implicite impose qu’on limite les déplacements même en voiture. Les trois seuls cafés ferment à 19ou 20 heures. Avec la loi sur la sécurité intérieure de 2003, les ados ne pouvant plus se réunir dans les cages d’escaliers ont nulle par où aller. On assiste à des phénomènes qui sont loin de ce qu’on nous raconte dans les journaux télévisés. En effet, ce qui est inquiétant ce n’est pas tant que les gosses traînent tard dans les rues mais, sous prétexte d’insécurité et comme leurs parents sont culpabilisés, qu’ils soient enfermés chez eux et n’ont plus d’ouverture culturelle et sociale.

Je sais bien qu’il est plus facile de stigmatiser démagogiquement la « délinquance », – l' »insécurité » venant certainement, croit-on, de la mauvaise nature des hommes -, mais le problème est-il vraiment là où ceux qui profitent de la pensée courte voudraient qu’il soit cantonné ? Car, n’est-il pas dangereux de considérer seulement la « violence » des individus sans se préoccuper de leurs conditions misérables d’existence c’est-à-dire de la brutalité du système ? Même, si on confond le traitement de la violence avec celui de la misère, ne fait-on pas le jeu de ceux qui pensent qu’aussi bien la misère que la violence sont une composante essentielle de la nature humaine et qui prônent la brutalité c’est à dire l’oppression et la répression ?

Vu l’injustice et la misère qui règne, ne peut-on pas penser qu’il y a assez peu de violence dans la société et que, comparé à la brutalité, les réactions violentes sont bien anodines ? On connaît les chiffres des dégradations des dernières émeutes et des conséquences pour les victimes mais qui connaît les chiffres de la répression ?1 Et qui parle des conséquences pour ceux qui sont condamnés à des peines de prison ferme ? Qui parle du rôle de la police dans la mort des deux jeunes à Clichy ? Y avait-il eu vol avant le contrôle de police ou était-ce un contrôle illégal ? Les 3 jeunes étaient-ils poursuivis par des policiers ? Ces policiers savaient-ils qu’ils étaient dans le transformateur ? Y a-t-il eu non assistance à personne en danger ? Toutes ces questions restent encore sans réponse.2

D’autre part on répète à l’envie qu’il y a eu une handicapée de brûlée dans l’un des bus mais a-t-on des informations sur les enquêtes des incendies en août-septembre dernier des 3 immeubles parisiens : hôtel Paris Opéra (24 morts), boulevard Vincent-Auriol ( 17 morts, dont 14 enfants) , rue du Roi-Doré ( Sept morts, dont quatre enfants ) ?

La plupart des intellectuels de gouvernement se sont élevés contre les atteintes inadmissibles de l’ordre républicain et en particulier contre l’incendie des établissements scolaires et des gymnases. Mais les voitures et les bâtiments, y compris les écoles, ne sont-ils pas bien peu de choses par rapport aux êtres humains ? Je me souviens de mes interventions de débats philosophiques l’année dernière à l’Institut Médico-Educatif de Moulins. Laurent, un gamin de 12 ans hyper-violent nous a raconté sa souffrance lors du débat : « Pourquoi la prison ? », son père et son oncle étant détenus et sa mère étant en hôpital psychiatrique. Sébastien 11 ans montrait toute la confusion qui était en lui lors du débat « qu’est-ce que l’amour ? » Il ne faisait pas de différence entre le sexe et les sentiments. Il faut dire, et l’instit m’a expliqué après, qu’il avait passé ses 15 jours de vacances à regarder toutes les nuits des films pornos avec son père.

Que dire de ce gamin que j’avais croisé dans un collège en 97 et dont je ne me souviens pas le prénom, qui avait découvert lorsqu’il avait 10 ans son père pendu dans la grange ? il errait hébété et meurtri ne ratant aucune occasion de se mettre en danger. Comme les deux gamin morts dans le transformateur EDF de Clichy, tous ces gamins ne valent-ils pas plus qu’une bagnole ou même qu’une école ?

On entend souvent dire qu’il faut plus d’Etat, d’ordre républicain dans les banlieues. Cela semble vouloir dire dans l’esprit de ceux qui n’y habitent pas, plus de police et qu’on juge sévèrement les délinquants. Certes, il est vrai que le commissariat est fermé la nuit et que la police de proximité a été supprimée. Mais, que penser des redéploiements successifs et de l’indigence des assistantes sociales, des agents de développement et de la prévention ? Chaque fois que je passe devant la poste de mon quartier je suis scandalisé par la longueur de file d’attente qui souvent continue dehors sur le trottoir. Et il semblerait que nous ne soyons pas à plaindre puisque de nombreuses banlieues en sont carrément dépourvues.

Il faut bien sûr plus de service public dans les banlieues mais cette solution n’occulte-t-elle pas le problème ? J’habite aux 3 Cités, le « quartier » de Poitiers et j’exerce mon militantisme à la présidence du centre socio-culturel et ma citoyenneté dans le comité-conseil de quartier et au sein de la commission habitat. Tout le monde ici considère que les « habitants des tours » ne sont pas actifs et se demande comment faire pour qu’ils sortent de chez eux et participent à la vie sociale. Mais, n’est-il pas évident que cela dérive de la politique implicite mise en place ? Entre les politiques (et surtout les technocrates) qui décident et les habitants qui subissent, il y a toute une catégorie d’acteurs, locaux comme on dit…, assistantes sociales, agents de développement CAF, animateurs du centre socioculturel, comité de quartier, associations, profs et instits… qui sont chargés de transmettre les bonnes paroles et de faire accepter les décisions.

J’ai assisté le mardi 4 octobre 2005 à une réunion « prévention de la délinquance » dans mon quartier. Il y avait sur l’estrade une brochette de haut fonctionnaires : directeur de cabinet du préfet, directeur général de la police, procureur de la république, adjoint au maire, représentant du capitaine de gendarmerie. Au premier rang, il y avait les représentants du conseil général et du conseil régional, l’inspecteur de l’éducation nationale représentant l’inspecteur d’académie. Dans la salle les « acteurs locaux » et aucun habitant des tours…

Très rapidement j’ai compris ce qui était attendu de nous : qu’on fasse passer le message. Comme la vice-présidente du comité de quartier (habitante depuis 1955) faisait part de son inquiétude sur la situation qu’elle jugeait aussi explosive (je rappelle qu’on était début octobre à quelques jours des émeutes) qu’en 93, le directeur général de la police lui a répondu que les 9 fauteurs de troubles qui perturbaient le quartier depuis mai dernier en brûlant les voitures et les poubelles, cassant les abris de bus et les lampadaires et en jetant des cocktails Molotov sur le commissariat ont été mis hors d’état de nuire. On pouvait donc dormir sur nos deux oreilles et surtout dire partout autour de nous que la police faisait bien son travail et qu’elle se déplaçait toujours quand elle était appelée. 15 jours plus tard, le commissariat du quartier fermé le nuit pour cause de restrictions budgétaires, a été attaqué à coup de marteau (49 coups), les banlieues s’embrassaient et, même si la presse n’en a pas parlé, les voitures brûlaient dans le quartier (ou ont simplement continué de brûler).

Qu’en est-il aujourd’hui soit un an jour pour jour après le début de l’insurrection des banlieues de 2005 ? Mardi dernier soit le 26 octobre, les acteurs du quartier se réunissaient pour décider ensemble de l’attitude à tenir face au déclassement du quartier des 3 Cités. De quartier prioritaire dans le précédent Contrat de ville, il serait rétrogradé par l’Etat dans le « droit commun » dans le futur Contrat Urbain de Cohésion Sociale. Pourtant nous satisfaisons (malheureusement) à 11 des 12 indicateurs définis par L’Etat et cette décision est incomprise que ce soit par la municipalité ou par la préfecture.

Si nous mettons en perspective cette décision avec la décision de supprimer la ZEP (redéploiement des moyens sur les quartiers qui ont brûlé à l’automne dernier) et celle de la CAF de baisser les subventions (à cause du déficit budgétaire…), n’allons-nous pas vers un nouvel embrassement des banlieues, surtout de celles qui ne se sont pas embrassées l’automne dernier ? En tout cas nous pouvons dire que rien n’a été fait, au contraire, pour que cela n’arrive pas.

Dernière chose, où étaient les militants politiques dans cette affaire. Et généralement, où sont les militants politiques depuis la crise des banlieues de 2005 ? Je ne parle pas des élus du quartier mais des militants de base qui feraient du porte à porte pour expliquer aux habitants la politique anti-sociale de l’Etat, du moins du gouvernement. Je ne parle pas non plus des militants « acteurs locaux » impliqués dans les associations et qui sont en fait, nous l’avons vu, la courroie de transmission de l’Etat, du gouvernement et des collectivités territoriales et qui sont pieds et poings liés par leurs statuts3. Nous pouvons constater qu’ils sont inexistants.

1 La dernière synthèse judiciaire du ministre de la justice eut lieu le 14 novembre à 17h Cf. http://www.justice.gouv.fr/presse/com141105b.htm et au cours du bilan de la dernière nuit Sylvestre on a appris que « 10.346 véhicules avaient été incendiés et 5.200 personnes interpellées, dont 3.000 en flagrant délit, les autres à la suite des enquêtes réalisées après les faits ».

2 Lire : le récit médiatique de la mort des deux adolescents de Clichy-sous-bois, par l’AFP, 29 novembre 2005 par Jamel Lakhal, Yves Rebours http://www.acrimed.org/article2207.html ou Clichy-sous-Bois : zone de non-droits ou zone d’injustices ?, Témoignage et retour sur une série de mensonges par Antoine Germa http://barcelona.indymedia.org/newswire/display/213478/index.php ou encore Clichy-sous-Bois: les proches de Zyed et Bouna attaquent l’Etat par Karl LASKE, Libération, jeudi 27 avril 2006, http://www.liberation.fr/page.php?Article=378024 . Les nouvelles du 27 octobre 2006 font état d’un procès qui aura lieu à la fin du mois de novembre soit plus d’un an après les faits…

3 Nous pouvons lire à l’article 1 des statuts du Comité de quartier : « [l’association] poursuit ses buts en dehors de toute option politique ou confessionnelle » et à l’article 2 des statuts du Centre socio-culturel : « les actions de l’association seront menées sans prosélytisme politique, philosophique ou religieux ».

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