Répression dans l’éducation
Affaire des réprimés de Melle : une répression ciblée contre les noyaux militants
Dans cet article, Jean-François Chazerans, lui-même enseignant au lycée, raconte comment la répression des trois professeurs de Melle s’inscrit dans une gestion répressive des mobilisations enseignantes et lycéennes, dont les E3C dernière attaque en date contre l’école publique.
8 juin 2020
Au Lycée Desfontaines, à Melle, tout était en place pour que l’institution aille jusqu’au chaos. Après plusieurs mois de grève en 2019 contre la réforme du Bac – dont la grève inédite pendant les épreuves portant au paroxysme la mascarade du Bac 2019 et sa gestion calamiteuse par le gouvernement, puis la grève à la rentrée contre les conditions déplorables dans l’Éducation Nationale –, le ministère continue et aggrave la marche forcée. Alors que le passage en force et la répression, se heurtaient à la résistance de plus en plus forte des enseignants qui ont refusé de surveiller les classes pendant les épreuves des E3C après avoir refusé de choisir les sujets en janvier, leur hiérarchie est allée jsuqu’à les faire remplacer par des retraités. Dysfonctionnements dans la surveillance, épreuves annulées, une quinzaine d’enseignants en arrêt maladie – la plupart pour burn out –, exercice du droit de retrait par 5 enseignants – refusé par l’institution – épreuves plusieurs fois reportées, menace d’un zéro pointé pour les élèves réfractaires, rassemblement de lycéens devant l’établissement, c’est l’escalade.
Et puis le 3 février lors d’une nouvelle tentative de passage des épreuves, c’est le dérapage suivi d’un incident majeur. [Une enquête publiée par Chloé Dubois dans Politis – https://www.politis.fr/articles/2020/05/les-trois-de-melle-symbole-de-la-repression-contre-les-opposant-es-aux-e3c-41951/] raconte :
« Des inspecteur·ices d’académie viennent observer le déroulement de la journée et seconder le proviseur, accompagné·es d’une équipe mobile de sécurité du rectorat de Poitiers ». Et « une quarantaine de gendarmes montent la garde »
« Pendant ce temps, les élèves qui passent leurs épreuves sont enfermé·es de l’extérieur dans leurs salles de classes par le proviseur. Tout un étage est ainsi verrouillé, à clé ou sanglé, « y compris les portes coupes-feux […]. Évidemment, lorsque les élèves s’en sont rendu·es compte, ils ont appelé celles et ceux de l’extérieur à venir les “libérer”. Dans les salles, c’était le chaos : des élèves ont paniqué, fait des malaises… » « Malgré la dégradation de la situation et les malaises, « le proviseur a refusé d’appeler les pompiers et avait d’ailleurs donné des ordres en ce sens […].
C’est ce que nous avons appris par la mère cet adolescent, lors de la conférence presse que donnera, plus tard, la députée de la circonscription, Delphine Batho ». Car si les parents ont finalement été contactés pour venir récupérer leurs enfants, la mère du lycéen décide de porter plainte pour « mise en danger d’autrui par violation d’une obligation réglementaire de sécurité ». Le proviseur, directement visé, est ensuite déclaré en arrêt maladie et remplacé. Dès lors, l’équipe n’aura plus de nouvelle. »
La situation de ce lycée du Nord de la Nouvelle-Aquitaine est l’exemple type des établissements où tous les principes de l’Éducation Nationale sont bafoués, l’administration est dans les cordes voire dans le mur. Mais l’administration ne peut pas perdre la face. L’administration n’est pas responsable, n’est jamais responsable.
Les 10, 11, et 12 mars trois professeurs mobilisés contre les E3C s’étaient fait suspendre à titre conservatoire pour 4 mois. « Lors des entretiens, aucune faute professionnelle n’a été explicitement reprochée : cinq rapports à charge ont suffit pour justifier de telles mesures. Le jour de leur convocation, la directrice des ressources humaines leur a précisé qu’une enquête administrative serait mise en place afin d’en évaluer la véracité des faits. A aucun moment, les méthodes et modalités de l’enquête administrative n’ont été précisées, empêchant de fait, les trois enseignants et leur représentation syndicale de l’investir afin de faire valoir au mieux leur droit de défense », a dénoncé l’intersyndicale CGT Educ’Action 79, FNEC FP-FO 79, FSU 79 et Sud Education 79. Leur convocation au rectorat de Poitiers avait provoqué « 3 nouvelles journées de grève, auxquelles participent la quasi-totalité du personnel de l’établissement, mais aussi des élèves et leurs parents ». Et mardi 2 juin, les enseignants suspendus, et une autre professeure, étaient convoqués devant la commission d’enquête.
Surveiller et punir, attaque contre l’école publique et répression
De manière générale, un tournant répressif contre le mouvement lycéen et les profs eut lieu au milieu des années 2000, dans la période post-mouvement contre la réforme des retraites de la fonction publique en 2003. D’abord avec les attaques islamophobes sous couvert de laïcité, dans le sillage de la loi interdisant le voile à l’école en 2004 et la stigmatisation des élèves de confession musulmane ou présumés comme tels, suivies des révoltes de la jeunesse des quartiers populaires, réprimés dans indifférence quasi générale en novembre 2005. Ensuite début 2006, avec un mouvement social large contre le Contrat Première Embauche, la jeunesse lycéenne en tête, que le gouvernement avait tenté de réprimer dans la rue avant de reculer sous la pression de l’ampleur de la mobilisation.
Concernant plus précisément la région de Melle près de Poitiers, où au second trimestre de la même année, un mouvement de sans-papiers et une grève de la faim de presque cent personnes pendant plus d’un mois avaient été réprimés sans pitié, un second tournant eu lieu à partir des grèves et manifestations de 2008 contre la politique du ministre UMP de l’Education Nationale de l’époque, Xavier Darcos. Manifestations très fortement réprimées sur Poitiers avec utilisation de gaz lacrymogènes, arrestations de lycéens devant les lycées et convocations au tribunal.
L’application aux activistes lycéens des méthodes de criminalisation et de maintien de l’ordre dans les banlieues, analysées par Mathieu Rigouste dans son livre L’ennemi intérieur publié en 2009, s’est largement développée. A Poitiers, la répression contre le mouvement social avait conduit en avril 2009 à la création du [Comité Poitevin contre la Répression des Mouvements Sociaux – https://antirep86.fr/] dont la base sous l’impulsion de jeunes politisés, parfois accompagnés de leurs parents, et soutenus par certaines associations, partis politiques, collectifs et syndicats qui le désiraient, quand d’autres organisations politiques et syndicales restaient plus discrètes voire réfractaires à se positionner laissaient certains militants isolés et sujets à la répression.
C’est ainsi que nous pouvons analyser et comprendre ce qui m’est arrivé à partir de 2012. Convoqué régulièrement par mon chef d’établissement, en particulier pour me reporcher l’aide que j’aurais pu apporter aux élèves politisés et actifs du lycée lors des mouvements lycéens, j’ai subi deux fois ce que dans le métier on appelle des « inspections-sanctions ». L’une d’elle avait d’ailleurs été demandée par Yves Debien, l’ancien proviseur du lycée de Melle et maire PS de cette commune de 6.000 habitants.
Mis en cause dans une quinzaine d’affaires, les trois-quarts concernant la liberté d’expression, j’ai été convoquée une dizaine de fois au commissariat. [En septembre 2012, suite à la projection d’une vidéo de l’expulsion par la police d’un camp de mal-logés à Poitiers dans le cadre d’un cours sur l’Etat, une convocation a visé tous les élèves d’une de mes classes. –> https://dal86.fr/2012/11/07/a-poitiers-les-inspections-pedagogiques-des-profs-de-philo-se-font-dorenavant-par-la-police/]. Si cette première affaire a été classée sans suites, d’autres ont suivie, et j’ai l’objet d’un véritable acharnement. D’abord d’une procédure et d’une condamnation en diffamation en 2014. Puis, cerise sur le gâteau et dernière affaire en date, une procédure pour apologie d’actes terroristes, classée sans suite par le procureur et requalifiée en propos inadéquat tenus en classe qui, suite à une commission de discipline m’a l’a déporté à 70 km de Poitiers. L’affaire est toujours en cours devant le Conseil d’État.
Dans le sillage de l’accentuation de la répression, la pression s’est exercée ensuite sur les syndicalistes et militants politiques. A l’image de la présidente du Comité Poitevin France-Palestine, d’un militant de la Gauche anticapitaliste accusé d’« organisation de manifestation non déclarée », ou de ces trois militants de Solidaires qui sont passés au tribunal et relaxés pour le blocage de la gare.
C’est donc une répression ciblée contre les noyaux militants qui semble être en cours dans l’Éducation Nationale, à l’image de l’affaire des Trois de Melle. En effet, pour expliquer le choix des enseignants mis en cause par la direction, Aladin, l’un des trois enseignants de Melle suspendus, racontait dans une interview réalisée pour [Révolution Permanente – https://www.revolutionpermanente.fr/Pour-le-rectorat-de-Poitiers-priorite-a-la-repression-contre-les-profs] : « ils ont choisi les enseignants qui ont été les plus médiatisés durant la lutte contre les E3C.Avec mes collègues, nous sommes passés à la télé, dans les journaux, ce qui leur a permis assez facilement de nous identifier comme des leaders et de nous faire passer pour tels..
Mais ce qui est désormais nouveau à Melle, c’est que les enseignants ciblés ne sont pas isolés. La grève et les actions se sont insérées dans un mouvement national (Dole, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Montauban, Carcassonne, Cahors, Strasbourg, Montbrison…). Vingt-quatre enseignants ont été convoqués.
Ainsi, seule la mobilisation permettra de stopper les méthodes autoritaires de ce gouvernement qui réprime les profs et les lycéens mobilisés contre les attaques l’école publique. C’est pourquoi il faut exiger l’abandon pur et simple de toutes les poursuites disciplinaires pour les trois de Melle.