La prison non seulement inutile mais contre productive ? décembre 2009   Mise à jour récente !


La ministre de l’intérieur Michèle Alliot Marie est venue inaugurer la prison de Vivonne (NR du 19 décembre 2009). Elle a précisé que « La prison doit protéger la société, sanctionner une faute, aider à la réinsertion des détenus. » Certes, mais en fait la prison n’aboutit-elle pas à l’inverse ? Là comme ailleurs nous aimerions voir des évaluations faites et/ou rendues publiques. Si nous connaissons à peu près bien les chiffres de la sanction, pour le reste nous sommes assez dans le flou. Quelle protection apporte la prison à la société ? Quelle aide est apportée aux détenus pour qu’ils se réinsérent ? Quels sont les chiffres de la récidive ? Quelle est l’évaluation des quatre lois qui ont concerné la récidive de 2005 à 2008 ? Un gouvernement si avide de chiffres et d’évaluations, et si prompt à dénoncer l’insécurité, ne devrait-il pas s’empresser de nous informer à ces sujets ?

Au contraire, concernant la protection de la société par la prison, nous sommes en face d’un discours paradoxal. La ministre dit que la prison doit protéger la société mais le gouvernement, faisant continuellement de l’insécurité son cheval de bataille, annonce régulièrement à la fois qu’il y en a toujours plus et les bons résultats de ses services. Il faut de l’insécurité pour mettre en place des mesures sécuritaires. Mais l’insécurité est un constat d’échec des précédentes mesures. Au lieu de constater que l’insécurité est un faux problème créé par les mesures sécuritaires, le pouvoir met en place une fuite en avant sécuritaire qui conduit à toujours plus d’insécurité. Cette fuite en avant se caractérise par le fait qu’il y a toujours plus d’ouvertures de places en prison – « « D’ici 2012 » promet-elle [MAM], la France comptera 63.000 places de prison, 68.000 en 2018 » et toujours plus de détenus – « « On est passé de 75, 5 détenus pour 100.000 habitants au 1er janvier 2001 à 103 détenus pour 100.000 habitants au 1er janvier 2009 ! », témoigne Barbara Liaras »1. Difficile alors de dire que la prison protège la société.

Concernant la réinsertion des détenus, ne faudrait-il pas d’abord parler d’insertion ? Car n’est-ce pas parce qu’ils ne sont pas insérés dans la société que certaines personnes se trouvent en prison ? N’ont-elles pas souffert dans leur passé, souvent dans leur enfance, de carences éducatives, affectives, et de problèmes psychosociaux qui ne leur ont pas permis d’avoir une vraie place dans la société ? Par exemple, l’illetrisne est d’un niveau très élevé en Prison, 4 fois plus que dans le reste de la population.. 40% des détenus sont illettrés contre 10% dans le reste de la population. Mêmes remarques concernant la trajectoire scolaire, « en 2005, près de la moitié des entrants en prison étaient sans diplôme et les trois quarts ne dépassaient pas le niveau du certificat d’aptitude professionnelle (Laurent, 2006), contre, respectivement, moins de 3 personnes sur 10, et 6 personnes sur 10 dans la population en général (INSEE, 2007). Un peu moins de 5 % de la population carcérale possédaient un baccalauréat ou un équivalent, et 3 % un diplôme du supérieur, contre, respectivement, 13 % et 19 % dans la population en général. Les personnes détenues sont donc sous-diplômées par rapport à l’ensemble de la population à l’extérieur. »2

Pour ce qui est de la réinsertion, il faut avoir à l’esprit la libération concrète des détenus pour se faire une idée adéquate. Selon le site internet Prisons3 :

  • 60% des sortants déclarent ne pas avoir d’emploi (notamment les femmes, les étrangers, les moins de 25 ans, et les plus de 40 ans)
  • En moyenne, les libérés sortent avec 130 €
  • 20% des détenus sortent avec moins de 8 €
  • Plus d’un quart des libérés sortent avec moins de 15 € en poche
  • 80% des libérés sous conditions déclarent être embauchés à leur libération.

Les conditions d’emprisonnement, non seulement ne favorisent pas la réinsertion des détenus et leur « amendement » (qui n’a pas été évoqué, comme par hasard; par la ministre à Vivonne), mais produit plutôt leur « désinsertion » et le « pourrissement » de leur situation. L’encellulement ne fait que les séparer encore plus de leur famille, de leur travail et de la société. Elle lâche brutalement ceux qui sont libérés sur un trottoir, les avertissant seulement quelques heures avant. Ils ne sont pas non plus informés de leurs droits. La prison « les a brisés, dépersonnalisés, déstructurés durant des années, au point de transformer certains d’entre eux en larves et en mollusques, et de les rendre incapables de refaire face à la vie extérieure »4 Même les maîtres chiens et les vétérinaires savent que c’est de cette façon que l’on rend les animaux soit dangereux soit complètement apathiques.

L’inhumanité de la prison et de ses conditions d’enfermement produit l’inverse de ce pour quoi elles sont mises en place : une forte récidive. « L’enfermement des mineurs se solde par des taux de récidive de 85 % »5 et « La dernière enquête que détaille A. Kensey évalue la proportion de casiers judiciaires comportant au moins une nouvelle condamnation (toutes infractions et toutes peines confondues) 5 ans après la sortie de prison. On mesure donc ici un « taux de recondamnation . Il est d’environ 50 % dans les 5 ans qui suivent la libération. Le taux de retour en prison est pour sa part d’environ 40 %. Et si l’on se limite aux affaires les plus graves, celles sanctionnées par une peine de réclusion criminelle, le taux chute pour se limiter à 1 % pour les auteurs de viol et 0,5 % pour les auteurs d’homicide »6. Au vu de cette forte récidive, sanctionner une faute en mettant en prison abouti donc à l’inverse de ce qui était souhaité : cela insécurise la société et ne permet pas la réinsertion des détenus.

Pourquoi alors sanctionner une faute ? Un citoyen autonome et responsable devrait assumer ses actes, réparer ce qu’il a fait et, le cas échéant, dédommager la ou les victimes. Mais pourquoi faudrait-il en plus le sanctionner ? « Afin que ni le coupable ni les témoins de sa punition ne soient tentés de recommencer. »7 me répondrez-vous ? Nous venons de le voir, la punition n’empêche pas la récidive. Au contraire même elle la favorise. Mais il y a plus : la punition favorise la répétition. « La multiplication des accidents et des maladies vient d’être mise en évidence par Jacqueline Cornet qui, en France, effectuant en 1995 une recherche sur 300 jeunes accidentés de la route8, a pu établir une relation très étroite entre la force, la fréquence et la durée des coups reçus en famille à titre éducatif et le nombre des accidents subis dans l’enfance et l’adolescence. La différence en nombre et en gravité des accidents est déjà notable entre des enfants jamais battus et ceux qui n’ont reçu que des coups « légers et rares ». Et les enfants les plus souvent battus sont aussi les plus gravement malades. Par ailleurs, phénomène déjà connu, plus les parents ont été battus dans leur enfance et plus ils battent à leur tour leurs enfants. Mais ils se retrouvent aussi plus nombreux à avoir été élevés dans des pays gouvernés par des régimes dictatoriaux : un véritable cercle vicieux de la violence semble ainsi se mettre en place, entraînant l’enfant, la famille et la société de laquelle ils sont issus »9.

Ainsi la punition n’arrivant pas à empêcher la récidive et même encourageant la répétition revient en fait à ne chercher qu’à se venger, abolissant par là l’idée même de justice. René Girard explique dans La violence et le sacré que la vengeance appelle la vengeance et que la justice est l’ultime vengeance. Se venger abolit donc la justice mais la justice n’est, elle-même, jamais bien loin de la vengeance. Les victimes ou leurs parents sont toujours insatisfaits des peines prononcées qui sont toujours trop clémentes à leur goût. Comme l’écrivait Platon dans le Protagoras (324b), en punissant un coupable en ayant en vue le fait même de la faute commise, on « s’abandonne comme une bête féroce à une vengeance dénuée de raison ». Et la sanction, étant en fin de compte pure vengeance, ne saurait ni protéger la société, ni, a fortiori, aider à la réinsertion des détenus. Car la sanction s’inscrit dans le cycle de la vengeance et appelle toujours une vengeance supérieure qui se perpétue sans fin au sein de la société, entretenant la violence endémique et le désordre social.

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1 Nouvelle République 19 décembre 2009.

2 http://www.repap.fr/docs/3/article4.pdf

5 Selon le Le délégué national de l’OIP (Observatoire international des prisons) Patick Marest dans Metro, 14 avril 2008 http://www.metrofrance.com/x/metro/2008/04/14/np0J0eaWh1acc/index.xml

6 Laurent Muchielli, De la dénonciation de la récidive à une politique responsable d’aménagement des peines, 6 octobre 2009 http://www.laurent-mucchielli.org/public/Recidive_et_amenagement_des_peines.pdf Chiffres à comparer avec la déclaration de la ministre de l’intérieur le 3 novembre dernier concernant la nouvelle loi sur la récidive concernant la castration chimique : « En 2008, les récidives pour les crimes de viols sont montés à 2,6% », ce qui représente « 43 viols », a-t-elle déclaré. « Pour les délits sexuels, le taux de récidive a été de 4,5% en 2008 », soit « 467 » cas » http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/20091103.OBS6647/?xtmc=taux_de_rA_cidive&xtcr=3

7 Platon, Protagoras, 324b

8 Cornet J., Faut-il battre les enfants, Paris, Hommes et Perspectives, 1997.

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