Mécanismes des psychotraumatismes par le Dr Muriel Salmona   Mise à jour récente !


http://www.memoiretraumatique.org/psychotraumatismes/origine-et-mecanismes.html

Définition

Il s’agit de mécanismes psychologiques et neurobiologiques de sauvegarde exceptionnels qui se mettent en place lors du traumatisme. Les traumatismes qui sont susceptibles d’être à l’origine de ces mécanismes psychotraumatiques sont ceux qui sont vont menacer l’intégrité physique (confrontation à sa propre mort ou à la mort d’autrui) ou l’intégrité psychique : situations terrorisantes par leur anormalité, leur caractère dégradant, inhumain, humiliant, injuste, incompréhensible (l’horreur de la situation va être à l’origine d’un état de stress dépassé représentant un risque vital).

Ces mécanismes psychotraumatiques sont mis en place par le cerveau pour échapper à un risque vital intrinsèque cardiovasculaire et neurologique induit par une réponse émotionnelle dépassée et non contrôlée. Cela se produit quand la situation stressante ne va pas pouvoir être intégrée corticalement, on parle alors d’une effraction psychique responsable d’une sidération psychique.

Le non-sens de la violence, son caractère impensable sont responsables de cette effraction psychique, ce non-sens envahit alors totalement l’espace psychique et bloque toutes les représentations mentales. La vie psychique s’arrête, le discours intérieur qui analyse en permanence tout ce qu’une personne est en train de vivre est interrompu, il n’y a plus d’accès à la parole et à la pensée, c’est le vide… il n’y a plus qu’un état de stress extrême qui ne pourra pas être calmé, ni modulé par des représentations mentales qui sont en panne.

Le stress extrême entraîne un risque vital pour l’organisme, et comme dans un circuit électrique en survoltage, le cortex va faire disjoncter le circuit émotionnel par l’intermédiaire de mécanismes neurobiologiques de sauvegarde exceptionnels qui vont être responsables d’une déconnexion du circuit de réponse au stress qui s’apparente donc à un court-circuit pour protéger les organes comme le cerveau, le cœur et les vaisseaux. Cette disjonction entraîne une mémoire traumatique et une dissociation avec anesthésie psychique et physique.

La disjonction du circuit émotionnel pour échapper au risque vital crée par le survoltage émotionnel ne se déclenche que si les représentations mentales face à la violence sont en échec et sont dans l’incapacité de moduler ou d’éteindre la réponse émotionnelle et d’empêcher ainsi un survoltage émotionnel.

Ces mécanismes psychotraumatiques sont à l’origine des conséquences les plus graves et les plus fréquentes des violences et d’un état de souffrance permanent. Si ces conséquences ne sont pas prises en charge elles risquent de transformer la vie des victimes en “un enfer”, en “un état de guerre permanente”, « sans espoir de s’en sortir ».

Ce sont des conséquences normales de situations anormales.

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Réponse émotionnelle dans le cas de traumatismes

Lors de traumatismes de type I (unique) ou II (répétés et s’inscrivant dans la durée) avec effraction psychique, leur caractère terrorisant, totalement imprévu, inconcevable, incompréhensible, fait s’effondrer toutes les certitudes acquises et confronte à sa propre mort, sans échappatoire possible, avec une impuissance totale (plus particulièrement quand les traumatismes se produisent là où l’on aurait dû se sentir en sécurité, comme dans l’univers familial, et plus particulièrement en cas d’agressions sexuelles et lorsque le traumatisme se répète sur une longue durée sans aucune possibilité d’y échapper)

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Un circuit de peur conditionnée – conduites d’évitement

La mémoire traumatique des violences, implicite, inconsciente, émotionnelle, est piégée dans les amygdales, elle va être à l’origine d’un circuit de peur conditionnée, véritable « bombe à retardement » prête à exploser à l’occasion de tout stimulus sensoriel, cénesthésique, algique, contextuel en lien avec les traumatismes subis et qui va « allumer » à chaque fois une amygdale hypersensible, puisque le cortex et l’hippocampe ne peuvent rien moduler (pas d’information ni de souvenir précis disponible).

L’amygdale va alors transmettre des informations « fantômes » au cortex, des réminiscences (flash-back, images), qui peuvent donner l’impression de revivre les violences, mais aussi des sensations, des pensées, des émotions, toujours liées aux violences mais sans repères de temps ni d’espace, et donc incompréhensibles. En même temps l’amygdale va activer les réponses émotionnelles du stress (axes HHS et SNA) avec pour résultat une grande souffrance psychique et une sensation de danger imminent, déclenchant à nouveau la même détresse, les mêmes terreurs que lors des violences : angoisses, détresse, attaques de panique. La vie devient un terrain miné, avec un sentiment d’insécurité permanent.

Pour échapper à ces réminiscences terribles et à cette souffrance, la victime traumatisée qui n’est pas prise en charge ni protégée va mettre en place des stratégies de survie et d’auto-traitement qui comporteront des conduites de contrôle et d’évitement :

  • des conduites de contrôle accompagnées d’une hypervigilance avec une sensation de danger permanent, de méfiance et d’état d’alerte, d’importants troubles du sommeil, une tension musculaire douloureuse, des troubles de la concentration et de l’attention (le psychisme est focalisé essentiellement sur des activités de surveillance et d’anticipation).

  • des conduites d’évitement destinées à éviter l’allumage de l’amygdale et le déclenchement de la mémoire traumatique, en évitant tout ce qui est susceptible de rappeler les violences (situations, pensées, sensations…). Ces conduites d’évitement sont à l’origine d’un retrait social et affectif, de phobies, d’obsessions, d’une peur de tout changement, d’intolérance au stress, de troubles du sommeil et de troubles cognitifs.

Et quand malgré les conduites de contrôles et d’évitement la mémoire traumatique se déclenche et envahit le psychisme de la victime elle entraîne la même sidération, la même détresse, le même état de stress dépassé, le même risque vital que lors du traumatisme initial. Souvent la disjonction spontanée ne peut plus se produire en raison de phénomènes de tolérance et d’accoutumance aux drogues du cerveau, et un auto-traitement se met alors en place pour obtenir une disjonction provoquée, il s’agit de conduites dissociantes. Il peut s’agir de déconnexion « douce » sans mise en danger avec des techniques d’auto-hypnose par exemple, ou bien de conduites dissociantes « dures » à risque.

Conduites dissociantes à risque

Quand les conduites d’évitement sont mises en échec malgré tout, l’amygdale s’allume, la mémoire traumatique se déclenche avec sa souffrance et sa détresse extrême. Dans ce cas, souvent, seules des conduites dissociantes, conduites d’auto-traitement dont on a fait le plus souvent par hasard l’expérience de leur efficacité, peuvent calmer la détresse. Il s’agit de redéclencher la disjonction initiale pour obtenir un état d’anesthésie affective et physique et une dissociation.

Pour provoquer le déclenchement d’une disjonction afin d’obtenir une anesthésie émotionnelle et physique il existe plusieurs solutions possibles :

  • soit le niveau de stress est tellement élevé qu’il provoque un court-circuitage et une disjonction spontanée entraînant une dissociation et une anesthésie émotionnelle et physique.

  • soit la disjonction spontanée ne se fait pas en raison de phénomènes de tolérance et d’accoutumance aux drogues du cerveau, et un auto-traitement se met alors en place pour obtenir une disjonction provoquée. Pour l’obtenir il existe plusieurs possibilités : soit recourir à une aggravation du stress par des conduites dangereuses, à risque (ex. automutilations), des amphétamines, des violences agies ou subies (dissociation provoquée + analgésie), soit recourir à la prise directe de drogues dissociantes, alcool, psychotropes à hautes doses (dissociation provoquée + analgésie).

La disjonction provoquée s’obtient donc :

  • soit par augmentation de la sécrétion des drogues dissociantes endogènes (les neuro-transmetteurs morphine-like et kétamine-like) par le cerveau en augmentant le niveau de stress ou de douleur par des conduites à risque, des mises en danger, des violences agies ou subies.

     

  • soit par adjonction de drogues dissociantes externes : alcool, drogues. Les psychotraumatismes sont à l’origine de consommation d’alcool chez 52 % des hommes et 28 % des femmes et de consommation d’autres substances psychoactives chez 35 % des hommes et 27 % des femmes.

     

Il s’agit de recréer l’état de dissociation et d’anesthésie vécu lors du traumatisme, solution transitoire efficace mais qui à moyen terme va s’avérer catastrophique (car ces solutions renforcent la mémoire traumatique amygdalienne et font perdurer et augmenter tous les symptômes liés à la déconnexion : troubles de la mémoire, mémoire traumatique, troubles de la personnalité, vulnérabilité au stress, image de soi très négative….).

Il existe donc deux manières de recréer cet état de dissociation :

  • par le survoltage : il faut augmenter le niveau de stress, soit par des conduites dangereuses qui reproduisent le traumatisme initial, soit par des conduites auto-agressives (se faire mal, automutilations, se mettre en danger), soit par des conduites hétéro-agressives (système agresseur)‏.

  • par un effet “déconnexion-like”, en utilisant des drogues à effet dissociant, alcool, cannabis et hallucinogènes (effets antagonistes de la NMDA), héroïne (effet sur les récepteurs opiacés endogènes) ou psychostimulants (effet de stress extrême par augmentation des catécholamines, l’anorexie produit le même effet).

Ces troubles psychotraumatiques sont à l’origine d’une dissociation entraînant une anesthésie émotionnelle accompagnée de troubles de la conscience (sentiment d’irréalité, d’être spectateur de la scène violente, de dépersonnalisation, absences)‏, d’une mémoire traumatique, véritable bombe à retardement, avec des réminiscences intrusives faisant revivre sans fin les violences avec la même souffrance et la même détresse, d’une hypervigilance, de conduites de contrôle et d’évitements et de conduites à risques, qui sont des stratégies efficaces mais très handicapantes pour échapper à la mémoire traumatique.

Ils sont aussi à l’origine de troubles cognitifs, de troubles du comportement, de l’alimentation, du sommeil et de la personnalité. **Ce sont des conséquences normales et spécifiques de violences traumatiques. Ils entraînent une souffrance psychique très importante.

Ces mécanismes et leurs conséquences expliquent les symptômes psychotraumatiques et les troubles du comportement des victimes, qui paraissent souvent totalement incompréhensibles à l’entourage, aux professionnels qui les prennent en charge et aux victimes elles-mêmes. Ces symptômes peuvent être résumés ainsi :

  • mises en danger, minimisation et banalisation de certaines violences sexuelles (du fait de l’analgésie), incapacité de dénoncer durablement les agresseurs (père, conjoint) vis à vis desquels les victimes développent une dépendance. Paradoxalement elles peuvent dans un premier temps se sentir mieux (en fait plus dissociées) avec leur agresseur que mises à l’abri (ce qui les expose au réminiscences), renonçant donc à les quitter.

  • réminiscences (qui peuvent se présenter comme des hallucinations), phénomènes de dissociation (avec le sentiment d’être étranger à soi-même), conduites d’évitement (qui peuvent devenir totalement envahissantes), tentatives « d’autotraitement » que représentent les conduites dissociantes : conduites addictives, conduites à risque et conduites auto-agressives (incompréhensibles et culpabilisantes) donnent à la victime le sentiment d’être folle, nulle, incapable, imbécile, perverse… sentiment savamment entretenu par l’agresseur…

     

Il est indispensable de rassurer les victimes, de leur redonner une dignité en leur expliquant les mécanismes des psychotraumatismes et en leur expliquant que ce sont des réactions normales aux situations anormales que sont les violences.

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