« la justice flétrit, la prison corrompt et la société a les criminels qu’elle mérite » (A. Lacassagne « Les transformations du droit pénal et les progrès de la médecine légale, de 1810 à 1912 », Archives d’anthropologie criminelle, 1913, p. 364.)
« Karl Rose, 22 ans, est jugé à partir de ce jeudi pour un triple meurtre à la kalachnikov. Le 25 avril 2013, il avait déterré l’arme dans son jardin et avait tiré au hasard dans les rues d’Istres, dans les Bouches-du-Rhône. Son procès va durer jusqu’au 13 janvier.
Karl Rose, aujourd’hui âgé de 22 ans, est jugé pour avoir abattu trois personnes à Istres le 25 avril 2013. Cet adolescent mal dans sa peau avait saisi une kalachnikov et avait tiré au hasard dans les rues de la ville. Il risque la perpétuité. Le procès s’ouvre ce jeudi 5 janvier. » (France-Bleu)
Il faut écouter Karl Rose. : « À son père, il reproche « les saloperies » qu’il lui a faites. A sa mère, « les séquestrations » ». (France-Info)
Ainsi, malgré le déni de son père, il l’accuse de viol(s) : « Aussi, lorsque Gilles Rose évoque une « petite enfance qui s’est plutôt bien passée », son fils explose : « Violeur de gosses ! Ça s’est plutôt bien passé, hein ? », s’étrangle-t-il, tordu de souffrance, en larmes. » (Le Parisien)
Sa mère est dépeinte avant le procès, par ses avocats qui ont souligné un « contexte familial extrêmement lourd », comme « alcoolique, dépressive et […] tyrannique, avec qui l’adolescent entretenait des relations exécrables. Elle a élevé l’enfant jusqu’à ses 14 ans, avant qu’il ne s’installe chez son père. » (Francetvinfo)
« « Je suis coupable, j’avais la haine. J’ai fait quatre ans de psychothérapie pour comprendre que c’est parce que mes parents m’avaient traité comme une bête, plaide Karl Rose à l’ouverture de son procès. J’avais la haine des adultes. » Une haine que ce fils unique a développée à cause de ses parents, assure-t-il. » (Francetvinfo)
Comme toute violence extrême qui agresse ou menace la vie ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne, un viol produit sur le coup une sidération, un débordement émotionnel extrême qui pourrait être fatal s’il n’y avait pas une dissociation, une disjonction de « l’articulation âme-corps, une dés-association de la pensée et des ressentis , souvent par anesthésie des sensations » (Saverio Tomasella, La folie cachée, Albin Michel, p. 193).
La personne violée entre alors en état de stress post-traumatique dont elle peut sortir progressivement si elle a été élevée et se retrouve dans un contexte sécurisant. Que ce soit le père le violeur est un facteur aggravant car justement c’est ce dernier qui, en tant que personne de confiance de l’enfant, devrait lui apporter cette sécurité. Qu’il y ait répétition des viols, comme il semblerait que ce soit le cas pour Karl Rose, est un autre facteur aggravant.
De plus, si, comme c’est le cas de Karl Rose, sa mère, son autre personne de confiance est insécurisante et maltraitante, si elle et ne protège pas l’enfant des violences de son père, si elle ne le défend pas, c’est encore un autre facteur aggravant. L’enfant va alors être psychotraumatisé et développer une mémoire traumatique « véritable bombe à retardement, avec des réminiscences intrusives faisant revivre sans fin les violences avec la même souffrance et la même détresse » (Muriel Salmona).
Les personnes psychotraumatisés vont alors tenter de se garantir des flambées de leur mémoire traumatique en mettant en place des conduites d’évitement. Karl Rose, toujours au contact de son, voire de ses parents agresseurs, n’a pas pu vraiment le faire. Pour survivre, il a été forcé de mettre en place des conduites dissociantes.
Comme l’explique très bien Muriel Salmona, « Il s’agit de recréer l’état de dissociation et d’anesthésie vécu lors du traumatisme, solution transitoire efficace mais qui à moyen terme va s’avérer catastrophique (car ces solutions vont faire perdurer et augmenter tous les symptômes liés à la déconnexion : troubles de la mémoire, mémoire traumatique, troubles de la personnalité, vulnérabilité au stress, image de soi très négative….)
Deux manières de le recréer :
− Par le survoltage : il faut augmenter le niveau de stress soit par des conduites dangereuses qui reproduisent le traumatisme initial, soit par des conduites auto-agressives (se faire mal : automutilations, se mettre en danger), soit par des conduites hétéro-agressives (système agresseur).
− Par un effet “déconnexion-like” : grâce à des drogues ayant un effet dissociant : alcool, cannabis et hallucinogènes (effet antagonistes de la NMDA), héroïne (effet sur les récepteurs opiacés endogènes) ou psychostimulants (effet stress extrême par augmentation des cathécolamines, l’anorexie produit le même effet) »
Il faut se rendre à l’évidence, les actes de Karl Rose, y compris ses meurtres, sont de telles conduites dissociantes. Comme pour tous les psychotraumatisés, il y avait de grandes probabilités que ses conduites dissociantes conduisent à l’irréparable. Combien de suicides et d’accidents mortels, combien de viols commis ou subis, combien de crimes, auraient pu être évités en prenant simplement en compte ces éclaircissements de la psychiatrie et en prenant en charge et en soignant ceux qui sont avant tout des victimes ? Car aussi scandaleux que certains pourraient le penser, Karl Rose avant d’être coupable de meurtre est une victime.
Alors Karl Rose coupable ? Bien-sûr, il doit être jugé pour ses crimes. Bien-sûr, la justice doit le déclarer coupable afin que lui-même puisse se réparer et se reconstruire, et afin que sa victime qu’il a laissée en vie et les proches des victimes puissent se réparer et se reconstruire et ne deviennent pas à leur tour psychotraumatisés.
Mais Karl Rose est-il vraiment le seul coupable ? Ses bourreaux paternels et maternels ne sont-ils pas eux aussi coupables ? Les services sociaux, l’aide sociale à l’enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, ses éducateurs (c’était un souffre douleur à l’école), ses psychothérapeutes (quatre ans de psychothérapie ; il demandait encore à sa mère de voir un psychiatre deux jours avant la fusillade). la justice même, tous ont été gravement défaillants et l’ont abandonné à l’horreur de sa situation. Tous sont coupables de non assistance à enfant en danger. Il faut donc juger et déclarer coupable Karl Rose mais juger aussi et déclarer coupables ses bourreaux et tous ceux qui ont laissé faire.
Mais tous avant d’être bourreaux ou irresponsables sont aussi victimes. Il ne faut donc condamner ni Karl Rose, ni ses parents, ni tous ceux qui ont une responsabilité dans cette affaire, il faut condamner les crimes et les délits mais ne pas condamner les personnes. Il faut plutôt les aider à se réparer et à se reconstruire en sortant de leurs psychotraumatismes.
La prison, l’hôpital psychiatrique, sont la pire des solutions. Ils sidèrent et dissocient et font donc perdurer et augmenter tous les symptômes liés à la déconnexion : troubles de la mémoire, mémoire traumatique, troubles de la personnalité, vulnérabilité au stress, image de soi très négative. En clair ils font perdurer le déni et la violence. Non, comme le demande Muriel Salmona à grands cris, il est urgent d’ouvrir des centres de soins spécialisés pour les personnes psychotraumatisées. Des centres de soins qui pourraient être sur le même modèle que ceux qui s’occupent des personnes alcooliques dont le plus bel exemple est le SHALE près de La Rochelle [Addenda du 14 octobre 2023 : Pour des raisons de pures restrictions budgétaires, le Shale a réintégré en 2017 l’hôpital de La Rochelle et a perdu son âme.]
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