Platon, Gorgias, 457c–458c


SOCRATE. – J’imagine, Gorgias, que tu as assisté, comme moi, à de nombreuses discussions et que tu as dû remarquer combien il est rare que les deux adversaires commencent par définir exactement le sujet de leur entretien, puis se séparent après s’être instruits et éclairés réciproquement  au lieu de cela, s’ils sont en désaccord et que l’un des deux trouve que l’autre se trompe ou n’est pas clair, ils s’irritent, accusent l’adversaire de malveillance et leur discussion est plutôt une dispute que l’examen d’un problème. Quelques-uns même finissent par se séparer fort vilainement, après un tel échange d’injures que les assistants s’en veulent à eux-mêmes de s’être risqués en pareille compagnie.

Pourquoi dis-je ces choses ? C’est qu’en ce moment tu me parais exprimer des idées qui ne sont point tout à fait d’accord et en harmonie avec ce que tu disais au début sur la rhétorique. J’hésite donc à les combattre, dans la crainte que tu ne me croies moins soucieux dans cette discussion d’éclaircir la question elle-même que de te quereller personnellement. Si tu es un homme de ma sorte je t’interrogerai avec plaisir; sinon, je quitterais la partie.

Quelle sorte d’homme suis-je donc ? Je suis de ceux qui sont bien aises d’être réfutés quand ils se trompent, et aussi de réfuter à leur tour une allégation inexacte, mais qui n’aiment pas moins à être réfutés qu’à réfuter les autres ; je considère même cet avantage comme supérieur, par la raison qu’il est plus avantageux pour un homme d’être délivré du plus grand des maux que d’en délivrer autrui. Rien, en effet, selon moi, n’est plus funeste à l’homme qu’une opinion fausse sur le sujet dont nous parlons.

Si donc tu es aussi de ce caractère, causons ; Si tu crois au contraire qu’il vaut mieux abandonner la discussion, restons-en là et finissons l’entretien.

(Platon, Gorgias, 457c – 458 c, traduction A. Croiset, Les Belles Lettres, 1923, pp. 123-124)

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