Pierre Thuillier, Socrate fonctionnaire


Et, de fait, tout le monde philosophe à un moment ou à un autre: soit lors d’une discussion de travail sur une affaire un peu délicate, soit en parlant politique au Café du Commerce, soit en lisant un roman ou un essai quelconque, soit en échangeant des impressions ou des idées avec des proches ou des amis, soit à l’occasion d’une grande joie ou d’une grande tristesse, soit en rencontrant des oeuvres d’art, soit pendant le repos forcé dû à une maladie ou à un accident… On peut imaginer, certes, que le « philosophe » professionnel pense mieux; disposant de techniques adéquates, il serait en mesure de mieux poser et de mieux résoudre ces fameux « problèmes » qui sont la pâture normale du métaphysicien ou du moraliste… Mais je suis convaincu que cette « professionnalisation » est d’importance tout à fait secondaire. Ce qui compte, c’est de percevoir des problèmes, de découvrir des implications d’abord invisibles, de mettre au jour tel ou tel présupposé, de déceler des analogies stimulantes, de repérer des contradictions, d’être sensible à la complexité des êtres et des choses, etc. Et tout cela, en situation. Non pas pour « faire de la philosophie », mais parce que les circonstances y invitent ou y contraignent, parce qu’on en a envie ou besoin, parce que ça s’impose spontanément à travers les contacts qu’on a avec les autres.

(Pierre Thuillier, Socrate fonctionnaire, Editions Complexe, 1982, pp. XIX-XX)

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