« L’erreur du passionné consiste donc moins dans la surestimation de l’objet actuel de sa passion que dans la confusion de cet objet et de l’objet passé qui lui confère son prestige […]. Ainsi s’il est un amour action, qui veut le bien de ce qu’il aime, s’efforce donc de le rendre meilleur, de le transformer selon la valeur, il est un amour passion qui désire que son objet demeure ce qu’il est, et le prend pour mesure de la valeur elle-même […]. De celui-ci [le véritable amour] la passion nous détourne. Car l’amour véritable est action, et, comme toute action, il refuse de se soumettre, veut changer ce qui est, et lui préfère ce qui n’est pas encore, et participant à cette constante création qu’est le cours du monde, il entreprend de transformer l’être selon la valeur […]. En aimant le passé, nous n’aimons que notre propre passé, seul objet de nos souvenirs. On ne saurait aimer le passé d’autrui ; par contre l’amour peut se porter vers son avenir, et il le doit, car aimer vraiment, c’est vouloir le bien de l’être qu’on aime, et l’on ne peut vouloir ce bien que dans le futur. Tout amour passion, tout amour du passé, est donc illusion d’amour, et, en fait, amour de soi-même. Il est désir de se retrouver, et non de se perdre ; d’assimiler autrui, et non de se donner à lui ; il est infantile, possessif et cruel […]. L’amour action suppose au contraire l’oubli de soi, de ce que l’on fut ; il implique l’effort pour améliorer l’avenir de celui qu’on aime »
(Alquié, Le désir d’éternité, PUF, p 54-56).