A propos de la philosophicité des débats philosophiques en classe   Mise à jour récente !


Jean-François Charezans (photo paru dans Libé)Comme l’écrit Franck Lelièvre : En quoi ces pratiques [Nouvelles pratiques de la philosophie en classe et dans la cité] sont-elles exactement philosophiques ? Quelle conception, quels aspects de la philosophie mettent-elles à l’œuvre et s’agit-il même toujours de philosophie ? Questions évidemment primordiales.1 A quoi Erik Laloy fait écho : Il m’est tout de suite apparu :

– que ces moments de discussion dite philosophique étaient institutionnellement importants, mais que l’appellation unique recouvrait une grande diversité de pratiques;

– que la philosophie s’y voyait souvent prêter toutes sortes de vertus : développement du langage, apprentissage de la démocratie et du raisonnement, construction de la personnalité… ». Erik Laloy rajoutant : « Globalement je n’y ai constaté [au colloque de Caen-mai 2004] aucune avancée sur la prise de conscience des conditions auxquelles une pratique doit répondre pour pouvoir se dire philosophique. C’est comme si, pour les personnes ayant la responsabilité de ce Colloque, le travail fait à Ballaruc n’avait pas existé. Il semblait aller de soi que tout ce qui était présenté ou proposé était philosophique.2

En vertu de leurs positions nos collègues vont distribuer des bons et les mauvais points et… occulter certains éléments. Pour Franck Lelièvre les meilleures méthodes sont celles de Lipman et de Lévine et la pire et celle d’Oscar Brenifier. Pour Erik Laloy, le bon point revient à ce qui se fait sur Caen (méthode lipman accompagnée par des profs de philo dont lui…) et les mauvais points à la «pratique philosophique» intitulé «L’arbre du respect» et à la méthode Lévine.

Si on tient compte du fait que l’intervention de Jean-Yves Château au colloque de Ballaruc est une critique à peine voilée de le méthode de Michel Tozzi, ce que nous expliquerons par la suite, nous avons donc affaire à une attaque en règle selon les techniques éculées mises en place depuis longtemps contre les dissidents et les pratiques alternatives ou innovantes (didactique, Tozzi, Meirieu, Defrance, cafés-philo..). D’abord la tactique du pianiste ou du phare (selon qu’on tire ou pas dessus…). Enfin ici, c’est surtout la technique du pianiste pour ce qui nous intéresse. On va chercher à déconsidérer quelque chose (un mouvement, une méthode, une théorie ou une pratique) en déterminant une tête d’affiche « médiatique » et en mettant toute la pression sur elle. J’ai analysé maintes fois le traitement subit par Marc Sautet3 et on trouve de nombreux points communs avec l’attaque en règle de Franck Lelièvre contre Oscar Brenifier… Cette tactique de l’arbre qui cache la forêt permet d’occulter le reste.

Deuxième tactique : le déplacement. On va se focaliser sur le secondaire ou sur l’insignifiant et en faire le principal. Ce ne sera pas une tête d’affiche qui sera visée et pourchassée mais une pratique marginale qui sera présenté comme représentative et pourra être considérée comme bouc émissaire. L’arbre du respect en est un bon exemple. Comme l’arbre qui cache la forêt, la victime émissaire permet d’occulter le reste.

Occulter quoi alors ? Il me semble que deux choses soient occultées par Franck Lelièvre et Erik Laloy. D’abord le fait scandaleux que n’importe qui, à leur yeux illégitime, puisse philosopher (ne pas oublier qu’Erik Laloy passe les deux premiers paragraphes de son texte à se légitimer et que Franck Lelièvre était reconnu au colloque de Caen [mai 2004], même s’il s’en est défendu, comme le représentant de l’inspection générale de philosophie). De tirer à boulets rouges sur Oscar Brenifier, comme ça été le cas avant pour Michel Tozzi, Philippe Meirieu, Bernard Defrance ou pour Marc Sautet dans d’autres contextes pas si éloignés, permet d’occulter que les petits profs de base mettent en place des pratiques philosophiques dans leur classes sans aucune permission autre que celle qu’ils se donnent eux-mêmes4. C’était déjà, nous pensons, une volonté affichée au colloque de Ballaruc (tant vanté par Erik Laloy je le rappelle) : ne pas se faire déborder par la base. C’est ici que nous retrouvons les critiques de A. Lambert à l’encontre de Gilles Geneviève5. Mais nous pouvons rajouter, les réactions de Jean-Yves Château au colloque de Ballaruc à l’égard du même Gilles Geneviève, de Sylvain Connac et surtout d’Agnès Pautard, tous instits de base qui se sont autorisés eux-mêmes à se lancer dans des débats philosophiques dans leurs classes. Cela a été l’un des grands enseignements du colloque de Ballaruc. Jusqu’à présent, rien dans l’institution concernant la philosophie, ne se faisait sans l’aval de l’inspection générale de philosophie, et si elle n’acceptait pas cela ne se faisait pas. Il a été clair au colloque de Ballaruc que l’Inspection Générale a été mise devant le fait accompli. Si les Inspecteurs Généraux ont exigé d’y être invités et y sont venus est-ce que ce n’est pas avec l’idée de mettre la main dessus, de remettre au pas ceux qui avaient le toupet de vouloir philosopher dans leurs classes, et s’ils n’y arrivaient pas de mettre alors leur mouchoir dessus ? Ils ne sont pas arrivés à leurs fins car la difficulté avec la philosophie du premier degré c’est que ni les inspecteurs généraux de philosophie, ni les inspecteurs généraux du premier degré, ne sont compétents puisqu’elle n’est pas une discipline inscrite dans les programmes. Nous sommes donc en présence d’un vide pédagogique qui facilite l’innovation.

La deuxième chose occultée par Franck Lelièvre et Erik Laloy c’est la question de la philosophicité du cours de philosophie de terminale. Ne partent-ils pas du présupposé que ce cours est naturellement philosophique ? Or, et comme il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil de l’institution de philosophie, je m’en étais déjà préoccupé il y a presque 10 ans6 et plusieurs fois par la suite7. Je soutenais que les professionnels de la philosophie considèrent qu’un cours de philosophie est philosophique parce qu’il est mené par quelqu’un qui a une formation philosophique et qui a un concours (Capes ou Agrégation) de philosophie. C’était lisible en référence au café-philo de Poitiers, mais en creux, car, comme j’étais maître auxiliaire de philosophie, mes collègues professeurs de philosophie ne pouvait quand même pas me considérer ouvertement comme un non-professeur et avaient été amenés à considérer que, les débats de café sont des débats d’opinions, d’une part parce que les débatteurs de l’assistance n’ont ni formation ni surtout concours administratifs de philosophie, d’autre part parce qu’il s’agit de débats collectifs8, prêtant ainsi le flans à la critique et annihilant par là même la possibilité de l’enseignement en terminale et même de tout enseignement de la philosophie. Et c’est effectivement ce sur quoi repose la position critique de A. Lambert, un cours de philosophie en terminale est philosophique parce que c’est un professeur de philosophie qui le fait. Et cela, il n’arrête pas un instant de le dire : A l’initiative de professeurs de philosophie, l’association « l’Atelier de philosophie », a été fondée en octobre 1997 à Hérouville-Saint-Clair… Ces ateliers sont animés par des professeurs de philosophie… rencontre de Michel Fromagetvenue de Robert Misrahientreprise voulue et animée par des enseignants de philosophie en terminaleadulte raisonnable, doté d’outils rationnels assimilés, capable de penser par soi-même grâce en particulier aux apprentissages acquis… nous jouons dans les séances un rôle spécifique, y intervenant activement à partir de notre expérience et de notre savoir de professeurs de philosophie pour guider la discussion, aider à l’élucidation des problèmes abordés, à la compréhension des textes proposés pour leur acuité, voire leur actualité9. Qu’est-ce donc alors qu’un professeur de philosophie en France aujourd’hui si ce n’est quelqu’un qui a suivi des études, pas toujours d’ailleurs, de philosophie et qui a un concours administratif (capes ou Agrégation), quelqu’un qui est en quelque sorte coopté par ceux qui sont déjà en place ? Et puis est-il si important que cela de préciser que quelqu’un qui a été formé et sélectionné pour faire des cours de philosophie sache vraiment le faire ? Ne serait-il pas plus intéressant de se préoccuper de la pratique philosophique des élèves ? Ont-ils alors vraiment de réelles possibilités d’apprendre à philosopher ? Surtout, de quelle philosophie est-il ici question ? Nous y reviendrons.

C’est dans l’intervention de Jean-Yves Château au colloque de Ballaruc, publié par la Desco dans les Actes du colloque10, et reproduit dans le n° de novembre décembre 2004 de l’Enseignement philosophique11 que nous trouvons des éléments éclairants sur la philosophicité des cours de terminale. C’est cela que nous allons discuter maintenant. Pour Jean-Yves Château, les pratiques philosophiques à l’école sont dangereuses d’abord, parce qu’elles conduisent, en usurpant le nom même de philosophie pour qualifier des activités dogmatiques à teneur idéologique, à dénaturer un authentique enseignement philosophique. Ensuite, parce que de telles activités, si elles étaient vraiment philosophiques, conduiraient à « démoraliser » les enfants et contrediraient le principe de laïcité.

Nous allons suivre dans un premier temps Jean-Yves Château lorsqu’il fait reposer le problème de la philosophicité des débats philosophiques en classe sur la nature complexe de la philosophie. En effet, il postule que pour déterminer si [une] activité est « philosophique» en un sens ou en un autre (Desco, p.32 ; EP, p. 26) il faudrait qu’on soit capable de dire ce que c’est que la philosophie, ce que c’est que le philosophique (Desco, p.32 ; EP, p. 26), démarche très complexe et délicate pour des raisons de principe qui tiennent à l’essence même de la philosophie (Desco, p.32 ; EP, p. 26). En effet, il faudrait d’une part former une idée de la philosophie qui vaille pour toute la philosophie, pour toutes les philosophies, faire, en somme, une philosophie de la philosophie (Desco, p.32 ; EP, p. 27). Et d’autre part, nul ne peut imaginer qu’une telle tâche ne prenne pas un temps très long et n’exige un travail et une culture très vastes (en toute rigueur «encyclopédiques»). Car comment savoir ce qu’est la philosophie sans l’avoir étudiée suffisamment ? C’est peut-être la question la plus lourde pour un philosophe (à supposer que la réponse puisse être entièrement philosophique). C’est une question à laquelle même celui qui a consacré toute sa vie à la philosophie a du mal à répondre d’une façon qui convienne à tous les autres (Desco, p.32-33 ; EP, p.27). Cette nature très complexe de la philosophie vient de ce qu’elle n’a pas d’objet propre. Elle peut s’intéresser à tout, et ses objets et problèmes, (en dehors de quelques-uns, qui sont, peut-on dire, techniques et n’ont de sens qu’à l’intérieur de telle ou telle doctrine constituée), sont aussi et d’abord, en général, empruntés à d’autres disciplines ou d’autres modes de pensée. (Cela ne veut pas dire que n’importe quel sujet est bon pour la philosophie, indépendamment de l’élaboration qu’elle en réalise). On s’en convaincra aisément en songeant au caractère réflexif ou second de la philosophie par rapport aux diverses sciences, à la religion, à la morale, à la politique, à l’art, etc. On aperçoit que ce n’est pas par son objet, son thème, sa matière, que la philosophie se distingue des autres, mais par sa manière de faire à leur égard (Desco, pp.36-37 ; EN, pp.30-31).

Ainsi, il pourrait y avoir ce que nous pourrions nommer un paradoxe de la philosophie : pour faire de la philosophie il faut être capable de dire ce que c’est que la philosophie mais pour être capable de le dire il faut déjà en faire. Et donc, la philosophie ne se distingue pas, comme semblent le supposer certains praticiens des débats philosophiques en classe, par les thèmes abordés (Desco, p.38 ; EP, p.32), ni par les procédés généraux de la pensée qu’elle met en œuvre (Desco, p.38 ; EP, p.32) mais par la radicalité de sa dimension critique (Desco, p.38 ; EP, p.33). Se fondant sur cette constatation Jean-Yves Château en vient à dénoncer un des risques les plus importants que l’on court si on veut enseigner la philosophie sans tenir compte de sa nature complexe. On en arriverait, pour le dire de la façon la moins désobligeante, [à] faire passer une philosophie pour la philosophie, [à] faire passer subrepticement, et peut-être sans même s’en douter, une idéologie, un ensemble d’idées que l’on partage (si intéressantes soient-elles), pour de la philosophie. Ce serait tomber dans l’arbitraire et le dogmatisme, le contraire même de la philosophie, même si c’est un danger qui la guette constamment et contre lequel il faut sans cesse lutter. L’enjeu est bel et bien, d’abord, le respect du principe de laïcité (Desco, p.32 ; EP, p.27). Nous suivons tout à fait Jean-Yves Château dans ce positionnement du problème de la philosophicité des débats en classe et nous sommes tout à fait d’accord avec lui sur la nature complexe de la philosophie et son ancrage dans la radicalité de la critique qui mettent en lumière la nature idéologique que pourraient avoir certaines pratiques. Mais prendre les choses ainsi, surtout pour un inspecteur général de philosophie, n’est-ce pas jeter le bébé avec l’eau du bain ? Car ne va-t-on pas rejeter non seulement la philosophie à l’école primaire mais son enseignement en terminale ? Comment donc l’enseignement de la philosophie en terminale échappe-t-il au risque pointé : tomber dans le dogmatisme ? Et comment le discours de Jean-Yves Château peut-il lui-même y échapper ?

D’abord, comment l’enseignement de la philosophie en terminale échappe-t-il lui-même à ce risque ? Jean-Yves Château considère d’ailleurs de suite qu’on pourrait lui faire cette objection : Pour mesurer la nature exacte de notre problème, nous pourrions nous demander si la difficulté de la définition de la philosophie ne concerne pas également, dans son principe, son enseignement à tous les niveaux où il existe (Desco p.33 ; EP, p.27). Il y répond immédiatement : oui et non (Desco p.33 ; EP, p.27). Et conclut, sans jamais aborder la réponse oui c’est-à-dire l’éventualité que l’enseignement en terminale pourrait ne pas échapper à ce paradoxe induit par cette définition de la philosophie comme critique radicale et donc qu’il pourrait n’être qu’une philosophie c’est-à-dire une idéologie : Nulle part dans l’institution, on n’attend d’un professeur, même spécialiste, qu’il fasse « de la philosophie » sans plus de précision, mais qu’il enseigne un contenu déterminé12 et cela en tenant compte de la nature d’épreuves de contrôle prévues pour ses élèves, ces éléments se conditionnant réciproquement (du moins quand l’enseignement est lucide et équilibré) (Desco, p.33 ; EP, p.27). Et donc, le spécialiste, d’ordinaire, n’est pas en situation d’avoir à inventer des contenus qui soient philosophiques, ni à prouver à personne, ni à se convaincre lui-même, qu’ils le sont (Desco, p.33 ; EP, p.27-28).

Cette solution avancée à de quoi rendre perplexe. Comment donc concilier la nature complexe de la philosophie, le fait qu’elle n’ait pas d’objet propre et que son caractère ultime soit la radicalité de sa critique avec cette détermination par un programme et par un exercice formel ? D’abord, nous pouvons voir que les instructions officielles de l’enseignement de la philosophie ne vont pas aussi loin que celles des autres disciplines et de l’actuel projet Fillon, sur lesquelles d’ailleurs Jean-Yves Château semble calquer ses conceptions. Comme l’écrit Emmanuel Davidenkoff dans Libération du 30 novembre 2004 : la liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le cadre des programmes et des instructions du ministre de l’Education nationale avec l’aide du directeur d’école ou du chef d’établissement, avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection». L’enseignant sera donc libre… de se soumettre aux instructions. C’était déjà le cas dans les collèges et les lycées. Une circulaire de mai 1997 indiquait bien que «le professeur dispose d’une autonomie dans ses choix pédagogiques» mais «dans le cadre des orientations et des programmes définis par le ministre chargé de l’Education nationale, des orientations académiques et des objectifs du projet d’établissement (Loi Fillon: les profs seront libres… de se soumettre). Et, que ce soit dans les Instructions d’Anatole de Monzie de 192513 ou dans le Programme d’enseignement de la philosophie en classe terminale des séries générales (B.O. n°25 du 19 juin 2003)14, le législateur prend des gants, c’est le moins qu’on puisse dire si on a à l’esprit les longues polémiques sur la questions des programmes de philosophie, avec la liberté de l’enseignant de philosophie. Ce qui fait que la prise de position de Jean-Yves Château, qui limite la liberté pédagogique des professeurs de philosophie, risquant tomber par là dans le risque de dérive idéologique qu’il dénonce lui-même, nous semble très dangereuse, dans le sens qu’est éliminé tout bonnement la différence entre la philosophie et les disciplines au profit de ces dernières, nous pensons en particulier précisément, mais pas exclusivement, à cette discipline qu’est le français ou les « lettres »15. Car, le propre de l’idéologie n’est-il pas de tenter de travestir la philosophie en ce qui n’est pas elle ? Jean-Yves Château a raison de critiquer radicalement son travestissement idéologique en didactique et en science de l’éducation. Mais d’autres travestissements existent : en psychologie, sociologie, histoire, ou même logique voire métaphysique ou théologie, mais aussi en « techniques », communication ou information, mais aussi en « culture » avec le travestissement en « Lettres ».

Il faudra donc nous expliquer comment cette confusion entre la philosophie et les disciplines au profit de ces dernières que semble défendre Jean-Yves Château peut se concilier avec le fait que la philosophie n’a pas d’objet propre (Desco, p.36 ; EP, p.30). D’ailleurs un certain nombre de professeurs de philosophie, lors des polémiques sur le nouveau programme de philosophie ces dernières années, se sont élevés contre la détermination des contenus de l’enseignement de la philosophie par un programme trop précis car cela leur semblait conduire à proposer UNE philosophie c’est-à-dire une idéologie. Faire de l’enseignement de la philosophie une idéologie consensuelle de style libéral-humaniste comme semblent le penser Nadine Lavant et Benoît Tassel16 ou encore L’enseignement philosophique ne consiste pas à imposer une philosophie, mais à faire philosopher les élèves. C’est-à-dire à leur permettre d’exercer leur jugement autonome dans la réflexion critique sur les questions majeures de l’existence humaine […] Un tel rôle est inconciliable avec toute philosophie officielle imposant des orientations philosophiques voire idéologiques comme l’écrit Henri Pena-Ruiz17. Ce qui fait que la position de Jean-Yves Château se rapproche curieusement de celle des « pédagogues » de l’Acireph qui privilégient la détermination par le programme contre la liberté du professeur18.

Nous pouvons même aller encore plus loin et dire que l’existence d’un programme est non seulement une ineptie en philosophie car ça conduit immanquablement à déterminer des contenus et donc au dogmatisme et à des dérives idéologiques, mais ne se justifie que par la nécessité qu’il y a d’évaluer pour le bac, c’est-à-dire, pour les plus optimistes, de réussir à l’école ou, plus neutre, d’orienter et, pour les plus pessimistes, de sélectionner l’élite. La détermination des programmes est certainement nécessaire pour remédier à certaines des difficultés rencontrées au baccalauréat, lit-on dans les propositions de l’Acireph au groupe d’expert Fichant (7-10-02). Pourquoi alors ne pas proposer carrément l’extension de l’enseignement de la philosophie ? Il ne suffirait pas, bien-sûr, de proposer un enseignement de la philosophie au seul niveau du lycée où il n’y a pas d’examen, en seconde, ni d’ailleurs dans tout le secondaire, car la réussite, l’orientation et la sélection y ont beaucoup trop d’importance. Une des solution à cette situation serait d’ailleurs d’introduire un enseignement de la philosophie au lycée professionnel et surtout dans le premier degré qui est bien moins soumis à de telles pressions de la société. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les débats philosophiques ont été introduits récemment quasi exclusivement dans le premier degré19. Cette moindre présence de la sélection scolaire et la nature fondamentalement non disciplinaire des enseignants, font que le premier degré est un moment de choix pour que les élèves commencent à s’exercer à philosopher. Il semblerait que la seule difficulté pratique, pour les collègues professeurs de philosophie, c’est que cet enseignement dans des niveaux sans examen serait sans enjeu scolaire (notes, coefficient, examen) et donc sans moyen de pression sur les élèves. Ils imaginent, à ce que j’ai pu entendre et lire, que la philosophie serait soumise à un rejet encore plus fort de la part des élèves que celui auquel il sont confrontés dans leurs classes en terminale, ne s’apercevant pas que c’est justement cette détermination par le programme et surtout par l’enjeu scolaire et l’examen qui donne cette ambiance utilitariste qui s’harmonise si mal avec le désintéressement propre qu’il y a à philosopher. Nous pourrions même nous demander si la polémique au sujet du programme n’occulte pas un point sur lequel tous les professeurs de philosophie semblent d’accords pour ne pas le remettre en question radicalement : le sacro-saint enjeu scolaire ne doit son existence qu’à la nécessité qu’à le professeur d’avoir des moyens coercitifs pour exercer son autorité…

Mais peut-être cette question des programmes et des épreuves est-elle une fausse piste proposée par Jean-Yves Château ? Peut-être a-t-il pensé que la philosophie à l’école était de la seule responsabilité de Michel Tozzi, qui du fait de son implication forte dans la didactique de la philosophie et les sciences de l’éducation, peut être considéré comme un sérieux adversaire ? Ce passé, voire ce passif, n’expliquerait-il pas l’indifférence première puis le rejet dont font l’objet ces pratiques innovantes ? L’histoire d’ailleurs du Colloque de Ballaruc, durant lequel Jean-Yves Château a fait cette intervention, organisé par Michel Tozzi parallèlement au colloque historiquement premier et plus orienté vers la cité, Nouvelles pratiques de la philosophie en classe et dans la cité, pouvait faire supposer à quelqu’un qui n’y connaissait rien et qui découvrait, que Michel Tozzi était la figure maîtresse et emblématique de ces activités. Peut-être aussi Jean-Yves Château souhaitait-il à travers Michel Tozzi, qui a été membre de bureau de l’Acireph et qui en est encore adhérent, critiquer les positions contradictoires de cette association par une démonstration par l’absurde ? Quoi qu’il en soit, un autre argument complètement différent voire contradictoire au précédent, se développe en filigrane des propos de Jean-Yves Château. Il sous entend qu’on peut échapper au risque qu’il pointe : faire passer une philosophie pour la philosophie (Desco, p.32 ; EP, p. 27) en faisant œuvre originale de philosophe (Desco, p.32 ; EP, p. 27). Même s’il faut le lire entre les lignes et lire le texte de près car, vu le contexte très polémique de l’enseignement de la philosophie en terminale, dans lequel on imagine bien qu’un Inspecteur Général se doit d’être prudent, Jean-Yves Château ne fait que le suggérer au début de son article et ne le développe que bien plus tard sans préciser le lien qu’on peut y trouver, cette conception de la philosophie est très déterminée et très limitée, voire restrictive.

D’abord Jean-Yves Château restreint la philosophie à ce qu’on peut lire dans les livres : Mais, en première approche, on peut dire qu’il suffit d’ouvrir un livre de philosophie, pour que la différence avec ce que l’on peut faire à l’école, en général, apparaisse sans que l’on ait besoin d’une longue analyse (Desco p.34, EP, p.28). Argument qu’il n’évoque que pour le récuser : Mais il me semble que c’est purement et simplement refuser par avance d’examiner la possibilité de notre problème que de le poser ainsi (Desco p.34, EP, p.28). Ensuite, il précise sa pensée en écrivant : On peut considérer que ce qui est le plus inaccessible aux enfants, dans la philosophie, c’est sa manière de procéder, rigoureuse, discursive, conceptuelle, démonstrative (Desco p.36, EP, p.30). Pour continuer par cette définition : Philosopher, ce n’est pas seulement penser à certains sujets et y penser d’une certaine manière qui serait déterminable par avance, en général, (sinon, on le voit, l’invention sur le fondamental serait impossible en philosophie et il n’y aurait pas proprement d’histoire de la philosophie) ; ce n’est pas discuter de sujets intéressants et être capable d’avoir raison des opinions des autres (même si cela peut prendre cette forme parfois) ; c’est s’expliquer sur ces sujets avec les philosophes qui ont précédé, sur ce qu ils ont pensé et sur la manière dont ils l’ont pensé et justifié, «en se réservant toujours le droit d’en aller chercher les principes jusqu’à leur source et de les confirmer ou de les rejeter » (Desco p.38, EP, p.32).

Si nous étions d’accord lorsque Jean-Yves Château proposait la radicalité critique comme critère distinctif de la philosophie, nous ne pouvons le suivre dans le positionnement de cette radicalité exclusivement dans l’histoire de la philosophie. Car, selon nous, cela ni ne lui permet d’échapper à la critique qu’il formule lui-même : un enseignement au contenu aussi déterminé peut-il être autre chose, qu’UNE philosophie c’est-à-dire une idéologie, ni ne lui permet de sauver la possibilité d’enseigner la philosophie en terminale.

Car enfin restreindre la philosophie à une explication sur [certains] sujets avec les philosophes qui ont précédé (Desco p.38, EP, p.32) n’est-ce pas mettre en avant une certaine tradition et une certaine philosophie donc ’est ce pas donner de la philosophie une idée bien déterminée ? N’est-ce pas faire croire que la philosophie est une ? Que, comme l’écrivait Jean-Toussaint Desanti : de fait ce que Descartes a pratiqué « sous le nom » de « Philosophie » n’est pas homogène à ce qu’ont pratiqué Platon, Hegel, Kierkegaard ou Nietzsche. Pourtant nous les nommons « philosophes » et déclarons qu’ils ont philosophé. Il y a donc abus de langage à parler aujourd’hui de la Philosophie comme d’une discipline à laquelle viendrait à manquer un terrain occupé par d’autres. Rien, sinon un effet d’inertie, ne nous autorise à mettre devant ce nom, sans autre examen, l’article défini20 ?

N’est-ce pas aussi faire la part belle à certains philosophes et faire peu de cas de ceux qui ne sont pas au programme ou qui ne rentrent pas dans la définition ? Que faire par exemple des « petits Socratiques », des Cyniques et de tous ceux dont il ne nous reste que des bribes ? Que faire des philosophes des « ténèbres » du moyen âge ? Que faire des philosophes obscurs et matérialistes du siècle des lumières ? Plus près de nous, que faire par exemple de Reich, Marcuse, Adorno ou même de Nizan, de Camus, de Genet, de Durkeim et de Bourdieu ? Que penser des écrits sous forme essentiellement d’aphorismes de Nietzsche ou même sous forme essentiellement de lettres de Leibniz ? Que penser même de cette autre façon de pratiquer la philosophie éliminée rapidement par un positivisme des plus curieux : Ce serait, d’ailleurs, retrouver une manière de parler ancienne, datant de l’enfance de la philosophie et du savoir eux-mêmes, puisque, dans les premiers temps du développement du savoir jusque vers le 17ème / 18ème siècles) et à une époque où les diverses sciences et techniques ne s’étaient pas distinguées et séparées comme elles le sont aujourd’hui, on pouvait appeler philosophie l’ensemble du savoir humain et parler, par exemple, de « philosophie physique », de « philosophie naturelle », de « philosophie mathématique», de «philosophie médicale» (Desco p.43-44 ; EP, p.38) ou de cette autre façon évoquée plus loin : A moins d’entendre par philosophie, l’exigence même essentiellement à l’œuvre dans tout savoir véritable, le plus haut degré du savoir et sa totalisation, ce dont tout savoir particulier et toute science effective ne seraient qu’une approximation, une réalisation imparfaite – ce qui correspond, certes, à une position qui a pu être soutenue historiquement, mais qui paraîtra à la plupart, sans doute, un peu trop arrogante pour avoir sa pertinence ici (Desco p.37 ; EP, p.31).

On pourrait quand même aller beaucoup plus loin : il y a encore une autre façon de concevoir la philosophie qui n’a rien à voir et qui est occultée. La philosophie n’est pas plus cette discipline scolaire que cette histoire de la philosophie qui pourrait cacher un système de la science, mais, comme le propose Pierre Hadot, manière de vivre liée à un discours. Ce dernier explique : « je veux dire, donc, que le discours philosophique doit être compris dans la perspective du mode de vie dont il est à la fois le moyen et l’expression et, en conséquence que la philosophie est bien avant tout une manière de vivre, mais qui est étroitement liée au discours philosophique »21, […] Philosopher, ce n’est plus, comme le veulent les sophistes, acquérir un savoir, ou un savoir-faire, une sophia, mais c’est se mettre en question soi-même, parce que l’on éprouvera le sentiment de ne pas être ce que l’on devrait être22. La philosophie dans ce sens est cohérence. Celui qui philosophe ou qui donne des leçons de bonne philosophie ne peut plus dire : fais ce que je dis, ne fais pas ce que je fais. Il ne peut pas non plus ne pas vivre sa pensée et penser sa vie.

L’enseignement de la philosophie nous semble plus trouver sa source dans cette cohérence que dans la philosophie impossible défendue par Jean-Yves Château. Car enfin pourquoi donc enseigner la philosophie si ce n’est pas dans une perspective de conversion émancipatrice aussi bien de l’élève que de l’enseignant ? Lorsqu’on a une conception si restrictive de la philosophie qui est de s’expliquer sur [certains] sujets avec les philosophes qui ont précédé (Desco p.38, EP, p.32) à quoi cela peut-il donc servir de l’enseigner en terminale ? Cela ne se borne-t-il pas alors, si on analyse ce qui se passe effectivement à l’école aujourd’hui, à repérer ceux qui ont le « naturel » philosophe ? Dès mes débuts comme professeur de philosophie voilà 15 ans, j’ai été surpris de voir à quel point la sélection en entonnoir de notre système d’éducation, cette reproduction sociale tant dénoncée, en particulier par Bourdieu et son école, permettait de rendre visible toute l’attention qu’on portait aux quelques élèves (souvent moins d’une dizaine sur les 250 à 300 qui sont en terminale dans tel ou tel lycée) qui étaient susceptibles d’aller dans les grandes écoles et tout le désintérêt qu’on manifestait aux autres. Un exemple parmi d’autres : au cours d’un conseil de classe de troisième trimestre d’une classe de terminale S spécialité biologie, à un parent d’élève qui demandait pourquoi les moyennes de physique étaient si basses, le professeur a répondu que les classes préparatoires aux grandes écoles avaient augmenté leurs exigences. J’ai alors voulu savoir combien d’élèves étaient concernés par les grandes écoles, le proviseur m’a répondu : plus que vous ne croyez ! Effectivement aucun élève de cette classe n’était admis en grande école ! Cela n’est pas différent en ce qui concerne la philosophie, les professeurs de terminale repèrent les meilleurs éléments et les orientent en normale sup et dans une moindre mesure à l’université pour qu’ils deviennent à leur tour professeurs de philosophie et que, dans la lignée de leurs maîtres, ils sélectionnent à leur tour l’élite qui sera amenée à les remplacer.

Un point de vue si restrictif de la philosophie qui conduit à un enseignement élitiste s’accorde mal avec l’idéal démocratique déjà défendu par les Lumières : du Sapere aude de Kant au Hâtons nous de rendre la philosophie populaire23 de Diderot. C’est cet idéal qui motivait jusqu’à présent, semble-t-il, l’enseignement de la philosophie en terminale. On peut lire par exemple dans les Instructions d’Anatole de Monzie : au moment où il vont quitter le lycée pour entrer dans la vie, et, d’abord, se préparer par des études spéciales à des professions diverses, il est bon qu’ils soient armés d’une méthode de réflexion et de quelques principes généraux de vie intellectuelle et morale qui les soutiennent dans cette existence nouvelle, qui fassent d’eux des hommes de métier capables de voir au-delà du métier, des citoyens capables d’exercer le jugement éclairé et indépendant que requiert notre société démocratique. Et dans le Programme d’enseignement de la philosophie en classe terminale des séries générales (B.O. n°25 du 19 juin 2003) : L’enseignement de la philosophie en classes terminales a pour objectif de favoriser l’accès de chaque élève à l’exercice réfléchi du jugement, et de lui offrir une culture philosophique initiale. […] Ouvert aux acquis des autres disciplines, cet enseignement vise dans l’ensemble de ses démarches à développer chez les élèves l’aptitude à l’analyse, le goût des notions exactes et le sens de la responsabilité intellectuelle. Il contribue ainsi à former des esprits autonomes, avertis de la complexité du réel et capables de mettre en œuvre une conscience critique du monde contemporain. Nous avons vu à quel point cet idéal est bien peu réalisé mais le danger n’est-il pas aujourd’hui ailleurs ? N’assiste-t-on pas actuellement à son élimination pure et simple ? Élimination qui conduit à empêcher d’enseigner la philosophie bien avant la terminale jusqu’en école primaire ? Car enfin, pourquoi en dernière analyse, ne pas enseigner la philosophie à l’école dès la maternelle ? Pour Jean-Yves Château la philosophie comme critique radicale ne peut que conduire à démoraliser les élèves les plus jeunes : c‘est également ce qu’ils peuvent « moralement » supporter, ce qui est susceptible de les démoraliser, de les troubler au-delà de leurs forces, de diminuer leur vitalité, leur plaisir de vivre, leur puissance d’agir et d’éprouver de la joie. Il y a là un principe de limitation de la liberté de recherche radicale et critique (Desco, p.40 ; EP, p.35) et plus loin Jean-Yves Château se réfère au principe de laïcité, en faisant reposer son argumentation sur l’arrêté du 27 juillet 1882 qui stipule que toute discussion philosophique et théologique est manifestement interdite en classe. Et, sans toutefois se complaire dans l’anachronisme et l’amalgame, conclut que « Les temps ont changé», nous dit-on. Certes, mais pourrait-on davantage justifier, de nos jours, que le maître puisse négliger ces considérations ? Peut-il sans l’accord des familles se mêler d’intervenir sur les sentiments et les croyances que les enfants tiennent d’abord de leur famille ? La chose paraît difficile à l’école publique. «Il prend ces enfants tels qu’ils lui viennent, avec leurs idées et leur langage, avec les croyances qu’ils tiennent de la famille et il n’a d’autre souci que de leur apprendre à en tirer ce qu’elles contiennent de plus précieux au point de vue social, c’est-à-dire les préceptes d’une haute moralité ». Peut-on vraiment dire autre chose aujourd’hui ? On aura noté que la justification qui est donnée signifie que la laïcité ne concerne pas seulement les opinions religieuses mais toutes celles, politiques et sociales, qui pourraient compromettre la possibilité de vivre ensemble, que ce soit à l’école ou hors d’elle (Desco p. 49 ; EP, p. 43-44). Jean-Yves Château en convient, les temps ont changé, mais il ne dit cela que pour conseiller de ne pas négliger ces considérations. Pourtant il a, nous semble-t-il, une bien curieuse conception de la laïcité qui serait neutralité ou mieux comme l’écrit Louis Legrand, neutralisation de l’enseignement24. Or si on suit cet auteur, la laïcité à l’origine a eu pour fonction de fonder la république bourgeoise contre l’emprise cléricale royaliste. A l’école, la laïcité a permis l’éviction de l’enseignement religieux. Ce n’est pas seulement le remplacement du cours de religion par un cours de morale mais tout un contexte idéologique : d’abord la foi au progrès humain par opposition à la morale du péché et de la résignation, ensuite la foi en la science dispensatrice des lumières et instrument de ce progrès25. Ainsi, la laïcité de la fin du siècle dernier, si elle est interdiction de toute discussion philosophique et théologique, n’est pas s’interdire de se mêler d’intervenir sur les sentiments et les croyances que les enfants tiennent d’abord de leur famille mais moyen de lutte politique et idéologique qui permet de mettre et de tenir à l’écart l’enseignement religieux. De plus Louis Legrand continue en expliquant que la plupart des orientations et croyances sous-jacentes à l’école républicaine ont considérablement souffert du temps26. Ne serait-il pas temps alors aujourd’hui de revisiter cette laïcité des origines et de la réactiver, non pas en continuant de la confondre avec une activité neutralisante, non pas non plus en renouant avec cette transformation idéologique dont l’école a été le véhicule à la fin du 19ème siècle, mais pour en faire un outil d’émancipation personnelle et collective en la joignant à la critique radicale de la philosophie. Non pas préserver les opinions et les croyances et se complaire dans la « moraline », mais les éliminer sans pitié et vivre dans la pensée. Si la laïcité des origines reposait sur la Science et sur le positivisme qui lui était inhérent, la laïcité d’aujourd’hui ne doit-elle pas se fonder sur la philosophie en tant que manière de vivre liée à un discours ? Car est-ce vraiment la philosophie en tant que critique radicale qui est pernicieuse pour les jeunes esprits ? N’est-ce pas plutôt le dogmatisme, le mensonge ou même le fait d’éluder certaines questions ?

Pour celui qui a l’habitude de fréquenter les classes de la maternelle à la formation pour adultes en passant par les Instituts Médico-Educatifs, les Sections d’Enseignement Général Professionnel Adapté et les Lycées Professionnels, je dirais quand même surtout les élèves de l’Aide et l’Intégration Scolaire, qui sont considérés le plus souvent de l’extérieur, comme des rebus du système scolaire, nul danger que l’on puisse les démoraliser. Ils le sont déjà depuis longtemps27. Si on les laisse parler, ils sont intarissables sur les souffrances qu’ils ont subies dans leur vie et dans leur études. Ils sont déjà détruits. Sont-ils irrémédiablement démoralisés et détruits ? Qui pourrait le penser ? Pas nous en tout cas. Les débats philosophiques réguliers auxquels ils participent sont critique radicale en ce qu’ils leur permettent de prendre conscience d’eux-mêmes, des autres et du monde qui les entoure, et de comprendre ce qui les a enfermé et qui les enferme encore. Moment nécessaire pour commencer à s’en libérer et à s’émanciper. Ainsi, le problème n’est pas tant la « démoralisation » que la « moralisation » c’est-à-dire cette attitude dogmatique qui vise à dénier la réalité et à raconter des histoires, et lorsque ceux à qui ont les raconte ne mordent pas à l’hameçon, de proposer des leurres idéologiques. Par exemple, dire que parler de certaines questions est dangereux en est un des plus pernicieux. Au fond ne s’agit-il pas plutôt de questions qui gênent les adultes (enfin certains adultes moralisateurs) ? Non seulement c’est une limitation arbitraire au nom d’une censure d’une autre époque liée à une laïcité idéologique et dogmatique mais cela va à l’encontre de tous les principes de notre enseignement fondé sur une laïcité militante et philosophique. Et je prendrais ici comme exemple la question : le père Noël existe-t-il ? que Jean-Yves Château laisse de côté (Desco, p.45 ; EP p. 39) sans expliquer vraiment pourquoi. Nous ferons l’hypothèse que c’est parce que cette question mérite encore moins d’être appelée philosophique que la question : quelle est la religion la plus vraie ? Jean-Yves Château avait déjà démontré, et nous sommes d’accord avec ses conclusions, que la philosophicité ne résidait ni dans les questions ou même les thèmes, ni dans les compétences ou même les opérations de la pensée. Est-ce à dire maintenant que certaines questions pourraient absolument ne pas être philosophiques ? Jean-Yves Château pense que comme il y a peu de chance que l’on puisse répondre philosophiquement à une telle question [quelle est la religion la plus vraie ?] (en tout cas avec des élèves du primaire), le maître renoncera à cette activité ou bien la transformera notablement. Il craindra de faire du mal à la philosophie, à l’idée d’école et à ses élèves (Desco, p.45 ; EP p. 39). Ou, plus loin : Devant certaines questions, le maître philosophe saura exploiter l’occasion de réfléchir qui surgit devant d’autres, il saura fermer sans perdre de temps inutilement une perspective de discussion oiseuse et sans intérêt devant d’autres encore, détourner d’un sujet délicat qui pourrait être blessant pour tel ou tel, engageant sur un terrain déontologiquement dangereux, risquant de mettre en cause notamment la laïcité de son action (Desco pp. 47-48 ; EP p. 42). Certes, il n’y pas de questions philosophiques mais, inversement, certaines questions peuvent-elle être hors du champ de la philosophie ? Nous ne le pensons pas car ce serait faire comme si certains domaines pouvaient échapper à la critique radicale de la philosophie. D’autre part, en vertu de quoi le maître philosophe ou même le professeur de philosophie jugera-t-il qu’une discussion pourrait être oiseuse, qu’un sujet pourrait être délicat ? N’est-ce pas en reposant, au mieux, sur LA philosophie officielle de l’enseignement de la philosophie en terminale ou, au pire, sur ses convictions personnelles ? Quoi qu’il en soit, il ne s’agit encore pour nous que d’UNE philosophie.

Pour en revenir à la question de l’existence du Père Noël, comme celle de l’existence de la « petite souris » introduite souvent par la question « Pourquoi les dents tombent-elles ? », elles sont souvent posées au Cycle II parce que, évidemment, elles renvoient à un vécu particulier de l’enfant. Mais, ces questions sont des occasions pour débattre de problèmes qui resteront en activité tout au long de la vie. La question de la nature de Dieu, de l’origine de l’homme et de soi-même d’abord. D’où venons-nous et comment quelqu’un pourrait ne pas avoir de parents ? Ensuite, et surtout avec la question de l’existence de la petite souris, la question du mensonge. Il s’agit de renouer ou simplement de nouer avec le débat entre Kant et Benjamin Constant : faut-il quelquefois mentir ? tout en en faisant fond sur la question de savoir ce que c’est que raconter des histoires. Car cette histoire du Père Noël racontée aux enfants est très particulière. Contrairement aux mythes et aux légendes elle est donnée pour absolument vraie. Or, nous savons depuis le Sophiste de Platon qu’on commence à philosopher lorsqu’on renonce à raconter des histoires. Nous rajouterons : et lorsqu’on renonce à croire aux histoires qu’on nous raconte. C’est cela qui se joue dans ces débats dès la grande section de maternelle : la formation du jugement critique et la question de l’adhésion aux idées. La particularité des débats philosophiques, c’est que nous partons des questions des enfants et non de celles des adultes. Ce sont les enfants qui débattent eux-mêmes sur des questions qu’ils ont eux-mêmes proposées et choisies. Ainsi lorsque Jean-Yves Château écrit : Les questions que les enfants posent et se posent à l’école sont variées et souvent étonnantes pour nous ; souvent, elles sont même émouvantes et remuent en nous des représentations, des sentiments, des craintes, des espoirs, voire des illusions, qui peuvent être profonds, sur lesquels nous n’avons pas toujours une entière maîtrise, mais qui nous donnent beaucoup à penser. Devant ce qui peut être si touchant et émerveillant, que faire ? Écouter, s’efforcer de comprendre, s’instruire soi-même des représentations des enfants, favoriser leur expression, leur évolution propre, leur élaboration continuée, tâcher de répondre, le cas échéant, à ce qui peut être inquiétude en elles, et, sans doute, bien d’autres choses encore. Pour faire tout cela avec justesse et tact, il faut certainement être « philosophe» (Desco pp. 47-48 ; EP, p. 42) Etre philosophe, si on continue à concevoir la philosophie comme manière de vivre liée à un discours, du moins enseigner la philosophie ce n’est pour nous, ni « faire taire » ni « répondre pour » mais laisser les élèves, considérés en tant qu’agents qui apprennent, répondre ensemble c’est-à-dire débattre en proposant leurs questions et leurs questionnements. Philosopher ne commence-t-il pas par s’interroger soi-même sur la question elle-même et sur les réponses à cette question ? Ne consiste-t-il pas à se demander pourquoi on se pose ces questions et expliquer pourquoi on avance ces réponses ? N’est-ce pas alors s’apercevoir que ces questions et ces réponses ne sont pas les nôtres mais qu’on nous les a imposées dès notre plus jeune âge ? Et donc n’est-ce pas aussi s’interroger sur le bien fondé de l’autorité et du pouvoir ? La pratique des débats philosophiques dans toutes ces classes de niveaux différents conduisent à penser que si la philosophie est conversion, on peut constater qu’elle n’est pas conversion tardive à 18 ans. Déjà en Grande section de maternelle, certains enfants sont plus « philosophes » que d’autres et on peut constater, comme c’est le cas plus tard en terminale, que la conversion a déjà eu lieu. Déjà en Grande section de maternelle il n’y a pas égalité des chances, certains enfants sont questionneurs, curieux et se situent dans l’étonnement28 et d’autres non. Voilà trois ans, j’intervenais déjà dans une classe de CM2 depuis quelques années et je me faisais des illusions. J’imaginais que les enfants plus jeunes étaient pleins de spontanéité, d’étonnement et questionneurs. Mais lorsque j’ai commencé à intervenir dans les classes de CP, puis en grande section de maternelle, j’ai dû me rendre à l’évidence : il n’y avait pas de différence de nature entre eux et des élèves de 3ème cycle de l’école, ni même d’ailleurs avec mes élèves de terminale, ils n’avaient pas plus spontanément de questions, ils n’étaient pas plus étonnés. Au contraire, il a fallu mettre en place tout un travail pour leur permettre de se réapproprier leurs questions et leurs questionnements. C’est là devant ce vide que j’ai compris qu’il fallait trouver quelque chose. J’ai proposé de chercher des questions qu’on se pose depuis toujours et auxquelles on n’a pas de réponse ou du moins pas de réponse satisfaisante et progressivement ils ont commencé à le faire. Les élèves ne se posent pas de questions à l’école, c’est le maître qui pose les thèmes à aborder en fonction des programmes et qui pose des questions c’est-à-dire interroge ses élèves pour voir s’il ont compris ou assimilé la leçon. Ainsi, c’est selon moi toute l’école et toute l’éducation qui est à revoir. Si bien que faire œuvre originale de philosophe (Desco, p.32 ; EP, p. 27) est toujours considéré comme étant du ressort du professeur. Pourtant n’est-ce pas plutôt ce qui devrait être demandé aux élèves ?

Ni Jean-Yves Château ni même Alain Lambert ne comprennent cette différence radicale de la pratique de la philosophie en classe et dans la cité avec l’actuel enseignement de la philosophie en terminale et à la faculté de philosophie. Même dans un atelier pour adulte Alain Lambert conçoit ainsi sa place en tant que professeur de philosophie : C’est pourquoi nous jouons dans les séances un rôle spécifique, y intervenant activement à partir de notre expérience et de notre savoir de professeurs de philosophie pour guider la discussion, aider à l’élucidation des problèmes abordés, à la compréhension des textes proposés pour leur acuité, voire leur actualité (EP, p. 71)29 et, même s’il modère quelquefois son point de vue, Jean-Yves Château explique : A l’école primaire, il est particulièrement difficile, bien évidemment, non seulement de restituer la dimension historique des problèmes et des positions philosophiques, mais même de les reconstruire si simplement que ce soit, d’en faire apparaître les enjeux, les tenants et les aboutissants, sans lesquels cependant les questions appellent des réponses qui ne sont qu’opinions incertaines, infondées, et même largement indéterminées (Desco, p. 39 ; EP, p. 33). Nous pensons au contraire que le cours de philosophie ne peut pas être philosophique principalement parce qu’il est le fait d’un professeur de philosophie faisant œuvre originale de philosophe (Desco, p.32 ; EP, p. 27). Car qu’en est-il de la philosophicité de la pratique des élèves ? Si l’on suit Jean-Yves Château dans sa conception de l’enseignement de la philosophie qui est de donner une réponse sous une forme discursive et raisonnée (Desco p. 48 ; EP, p. 42), un tel enseignement a-t-il permis à tout un chacun, et les enseignants du premier degré en font partie, de philosopher ? N’a-t-il pas plutôt servi exclusivement, en formant l’élite des professeurs de philosophie qui remplaceront ceux qui le sont actuellement, à produire de brillants agrégés ? Car, il faut se rendre à l’évidence, après plus d’un siècle d’enseignement, la philosophie ne s’est pas répandue massivement dans la population. Au contraire même, aujourd’hui la classe de philosophie, la terminale L, est en perte d’effectifs. Etat de fait absurde et révoltant. Ainsi, nous pensons que, le dialogue étant la garantie de la philosophicité, on ne philosophe jamais seul. D’ailleurs, si on tente de le faire quand même, on sombre inéluctablement dans le dogmatisme. Ainsi ce qui peut garantir que nous ne soyons pas dans le discours idéologique et dans les dérives dangereuses contre lesquelles Jean-Yves Château a eu raison de nous mettre en garde, ce n’est pas le discours lui-même de l’enseignant, mais le fait que ce ne soit pas le maître qui « fasse cours » en philosophant tout seul c’est-à-dire que se soient les élèves qui débattent entre eux sur des questions qu’ils ont eux-mêmes proposées et choisies.

Il nous faudrait alors nous pencher plus précisément sur cette conception hydraulique de l’enseignement critiquée très justement par Pierre Hadot : Pour Socrate, le savoir n’est pas un ensemble de propositions et de formules que l’on peut écrire, communiquer, ou vendre toutes faites; comme le montre le début du Banquet (174 d-175 d), Socrate arrive en retard, parce qu’il est resté à méditer, immobile et debout, «appliquant son esprit à lui-même». Aussi lorsqu’il fait son entrée dans la salle, Agathon, qui est l’hôte, le prie de venir s’asseoir près de lui, afin que, «à ton contact, dit-il, je puisse faire mon profit de cette trouvaille de sagesse qui vient de se présenter à toi». «Quel bonheur ce serait, répond Socrate, si le savoir était chose de telle sorte que, de ce qui est plus plein, il pût couler dans ce qui est le plus vide. » Ce qui veut dire que le savoir n’est pas un objet fabriqué, un contenu achevé, transmissible directement par l’écriture ou par n’importe quel discours. Quand Socrate prétend qu’il ne sait qu’une seule chose, à savoir qu’il ne sait rien, c’est donc qu’il refuse la conception traditionnelle du savoir. Sa méthode philosophique va consister, non pas à transmettre un savoir, ce qui reviendrait à répondre aux questions des disciples, mais bien au contraire, à interroger les disciples, parce que lui-même n’a rien à leur dire, rien à leur apprendre, en fait de contenu théorique de savoir. L’ironie socratique consiste à feindre de vouloir apprendre quelque chose de son interlocuteur, pour amener celui-ci à découvrir qu’il ne connaît rien dans le domaine où il prétend être savant30. La philosophie n’est donc pas un savoir, elle n’est pas une discipline supplémentaire ou à côté des autres, mais devrait être présente et à l’œuvre au sein même de tous les savoir et de toutes les disciplines. Elle devrait même être la pratique quotidienne de tout un chacun.

Nous sommes donc d’accords avec Jean-Yves Château qui préconise : une formation philosophique semble s’imposer de façon cruciale (Desco p. 48 ; EP, p. 42) pour les enseignants du premier degré, mais nous ne le suivons plus lorsqu’il introduit le bémol de taille suivant : Cela n’est bien sûr pas impossible individuellement, mais il ne me parait pas vraisemblable que l’on puisse envisager d’organiser pour un nombre significatif de maîtres du premier degré une formation convenable (Desco p. 48 ; EP, p. 42). S’il pense ainsi, cela ne tient qu’à la nature qu’il suppose à la philosophie et à ce qu’elle est une activité réservée à quelques uns. Contrairement à lui, nous pensons qu’il est urgent, pour en arriver le plus vite possible à ce que tout un chacun soi philosophe, d’accompagner nos collègues de l’école primaire et des autres disciplines qui veulent mettre en œuvre des moments de philosophie dans leurs classes. Dans une telle perspective, l’institution devrait être partie prenante et même, au lieu de se tenir à l’écart, devrait être en première ligne afin de dispenser un enseignement philosophique vraiment universel. L’enjeu nous semble de taille et nous pensons que nous ne pouvons pas tièdement attendre que cela arrive par l’opération du Saint Esprit. Pour notre part, nous avons commencé voilà huit ans à intervenir dans les classes des collègues afin de coopérer avec eux à la mise en place de débats philosophiques dans leurs classes31. Cette année sur Poitiers, avec une trentaine d’enseignants, nous faisons philosopher régulièrement32 plus de 500 élèves.

En avril 2001 suite à la première rencontre nationale à l’INRP à Paris, qui nous a permis de nous apercevoir de l’extension, de la diversité et de la vigueur de ce qu’on a appelé plus tard les Nouvelles pratiques philosophiques en classe et dans la cité, j’ai proposé de créer un site internet et une liste de discussion qui ont contribué à constituer un mouvement et qui mettent en réseau actuellement plus de 200 personnes, aidés en cela par la tenue d’un colloque national annuel en est à sa 5e édition et qui est devenu pour l’occasion Européen33.

Pour finir, je rajouterais que des cinq méthodes présentes au début, qui ont servi de base pour continuer à innover34, nous pensons que la nôtre, la méthode de l’intervenant ou Philosophie populaire35, est celle qui porte le moins le flanc aux critiques les plus judicieuses de Jean-Yves Château, car elle ne fait pas reposer la philosophicité des débats philosophiques en classe sur les thèmes abordés, ni sur les procédés généraux de la pensée qu’elle met en œuvre mais par sur la radicalité de sa dimension critique, tout en ne dérogeant pas aux principaux acquis des nouvelles pratiques : d’abord, que tout le monde est capable de philosopher à partir du moment qu’il verbalise, que ce soit même en maternelle ou avec les élèves des Instituts Médico-Educatifs ; ensuite, que le débat philosophique est avant tout une pratique vivante qui repose sur l’activité de l’élève ; puis qu’il y a primauté de l’oral sur l’écrit et que le débat philosophique est utilisé comme outil d’apprentissage par excellence ; et dernièrement, que la relation pédagogique, qui tend à se focaliser sur la relation des élèves entre eux et non plus seulement sur la relation privilégiée d’un élève particulier à l’enseignant, s’est transformée radicalement.

Jean-François Chazerans
Professeur de philosophie

_________________________

1 L’enseignement Philosophique, juillet-août 2004, p. 63.

2 L’enseignement Philosophique, juillet-août 2004, p. 73.

3 Voir :

– Du nouveau sur le front de la philosophie nouvelle ?, L’Incendiaire n°3, mars 1997. http://www.incendiaire.net/texte/archives/incend3/philopop.htm (Version remaniée : Cafés-philo : pourquoi la philosophie est-elle devenue si populaire ? http://www.philopartous.org/apptt/pourq2.html )

– Réponse du 15 septembre 1997 à Marc Sautet, L’Incendiaire 2nde mouture, n°1, octobre 1997. http://www.incendiaire.net/texte/archives/2incend1/chermarc.htm

– Apologie de Sautet, L’Incendiaire 2nde mouture, n°7, avril-mai 1998. http://www.incendiaire.net/texte/archives/2incend7/apologie.htm

4 Ce qui est pour moi déjà philosopher…

5 L’enseignement Philosophique, juillet-août 2004, p. 70.

6 Aux professeurs de philosophie de l’Académie de Poitiers (juin 1996), Avec David Sawadogo, Café-PhiloWeb, http://www.cafephiloweb.net/cpwt/contrib/debat02.htm

7 Jean-François Chazerans, Fait-on de la philosophie dans les cafés-philo ? Diotime / l’Agora, n°3, septembre 1999, http://www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora/ag03_039.htm

8 Jean-François Chazerans, Fait-on de la philosophie dans les cafés-philo ? Diotime / l’Agora, n°3, septembre 1999, p. 42 http://www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora/ag03_039.htm

9 L’enseignement Philosophique, juillet-août 2004, p. 69-71.

10 juin 2004. Cité par la suite Desco suivi du numéro de page.

11 Cité EN suivi du numéro de page.

12 C’est nous qui soulignons.

13 L’esprit de l’enseignement philosophique. C’est pourquoi nous voulons que le mot liberté soit inscrit au début même de ces instructions. La liberté d’opinion est dès longtemps assurée au professeur et il paraîtrait aujourd’hui contradictoire avec la nature même de l’enseignement philosophique qu’il en fût autrement. Cette liberté, sans doute, comporte les réserves qu’imposent au professeur son tact et sa prudence pédagogique, c’est-à-dire en somme le respect qu’il doit à la liberté et à la personnalité naissante de l’élève.

14 Il n’y a pas lieu de fournir une liste exhaustive des démarches propres au travail philosophique, ni par conséquent une définition limitative des conditions méthodologiques de leur assimilation.

15 Par exemple cet argument d’un collègue professeur de philosophie contre l’extension de l’enseignement de la philosophie en 1ère : Autrement, je me souviens que C. Menasseyre, alors doyenne de l’IG de philo, m’avait mis en garde contre le fait de marcher sur les plates bandes de nos collègues de Lettres, qu’on aurait tout à perdre dans cette histoire. J’ai tenté de suivre son conseil mais je me suis très vite rendu compte que, quel que soit le sujet, esthétique, moral, épistémologique même, on interférait avec les travaux d’argumentation des profs de français.  Conséquence funeste pour les élèves et pour les prérogatives de chacun. On parle des mêmes choses mais de façons souvent opposées voire carrément contradictoires.

16 Misères de la philosophie, l’Humanité, 17 mai 2001

17 dans Marianne, 27 février 2002.

18 Je ne résiste pas au plaisir de citer ici les propositions de l’Acireph au groupe d’expert Fichant (7-10-02) :

A- Liberté et détermination ne sont pas incompatibles

Il n’y a aucune incompatibilité de principe entre ces exigences pourvu que, » la liberté du professeur » – c’est-à-dire sa liberté philosophique ou doctrinale (le libre .choix de ses conclusions et de sa manière d’aborder un problème philosophique), mais aussi sa liberté pédagogique (la libre conduite du cours, le libre choix des exercices et des pratiques) -ne soit pas confondue avec la liberté de pouvoir fixer soi-même le programme de sa classe ou de pouvoir parler de tout, qui, elle, est incompatible avec l’existence d’un programme déterminant clairement ce qui est attendu des professeurs comme des élèves. C’est lorsqu’on les confond qu’on en vient à croire que pour garantir  » la liberté » il faudrait un programme très indéterminé: celui-ci n’excluant rien ou presque rien, chaque professeur aurait effectivement la liberté de traiter toute question de son choix, pourvu qu’elle soit philosophique.

Nous pensons au contraire que la liberté du professeur ne peut être celle de parler de toute question de son choix, car à ce compte aucun programme ne serait possible ni même d’ailleurs un enseignement public; ce qui est essentiel, en revanche, c’est que chaque professeur puisse exercer pleinement sa liberté sur quelques questions, problèmes ou objets, bien déterminés et donc choisis, ceux dont le programme -c’est son rôle -prescrit l’étude. Cela suppose assurément que les problèmes ou objets proposés à la réflexion soient choisis de manière à ce qu’ils n’induisent aucune conclusion ou orientation philosophique particulières, mais pas que leur choix soit laissé à l’arbitre de chacun.

B. Si on veut vraiment donner aux professeurs plus de liberté, il faut renoncer à enseigner le tout de la philosophie et donc limiter le programme

On n’a pas suffisamment prêté attention au fait que ce dont les professeurs se plaignent, depuis de nombreuses années, c’est bien de ces programmes si démesurément ambitieux qu’ils saturent l’intégralité du temps scolaire, ne laissant aucune liberté pour approfondir une question avec les élèves, leur en faire découvrir la richesse et les multiples approches.

On a pu penser qu’un programme de philosophie pour être  » authentiquement philosophique  » devait obligatoirement comprendre le tout de la philosophie. Mais lorsqu’un programme est ainsi fait que toutes les questions de la philosophie peuvent d’une manière ou d’une autre y être incluses, et que, par là même, l’éventail des sujets de baccalauréat possibles est maximal, on sait bien ce qui arrive dans les classes: les professeurs, soucieux de la réussite de leurs élèves, essaient de couvrir tant bien que mal un très grand nombre de questions. Et, parce qu’on ne peut tout faire, chacun se sent obligé -et contraint -de passer par ce qu’il pense être les incontournables de la formation: la caverne de Platon, le cogito cartésien, l’inconscient freudien, etc., mais sans réelle possibilité d’approfondissement, de critique ou de mise en perspective, car il faut courir après le programme.

Où est ici la liberté du professeur, sa liberté philosophique ? Et que devient sa liberté pédagogique quand il n’a pas le temps de laisser les élèves errer, chercher: le temps long et patient de l’exercice, de la maturation ?

L’enseignement de la philosophie a donc tout à gagner à une meilleure délimitation de ses programmes : plus de temps, plus de liberté et sûrement une meilleure formation des élèves. Déterminer le programme signifie donc au moins deux choses: (1) spécifier les contenus d’enseignement, définir plus précisément les éléments de cette culture philosophique élémentaire (concepts, distinctions conceptuelles, voire doctrines) à laquelle tous les élèves de classes terminales doivent pouvoir accéder, déterminer les savoirs et les savoir-faire qu’il s’agit d’acquérir; (2) limiter le nombre des  » problèmes « ,  » notions » ou objets proposés à la réflexion.

19 Raison à laquelle il faudrait rajouter la moindre prégnance des disciplines.

20 L’expérimentation philosophique, Le Magazine Littéraire n°200 novembre 1983, pp. 81-82

21 Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Folio-Essais/Gallimard, 1995, p. 19.

22 Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Folio-Essais/Gallimard, 1995, p. 56.

23 Ne voulant pas paraître trop naïf sur le sens de ce mot d’ordre, je vous renvoie à l’article de Véronique Le Ru, la valeur d’un mot d’ordre : rendre la philosophie populaire dans Popularité de la philosophie, coordonné par Philippe Beck et Denis Thouars, ENS Editions, 1995.

24 L’école unique : à quelles conditions ? Scarabée – Céméa, 1981, p. 57.

25 L’école unique : à quelles conditions ? Scarabée – Céméa, 1981, p. 56-57.

26 Ibid. p. 58.

27 Durant la rédaction de cet article j’ai eu la chance et le plaisir de lire l’ouvrage C’est pour ton bien d’Alice Miller (Lattès, 1983). Ayant pris conscience des séquelles profondes et persistantes de la « pédagogie noire », j’irai aujourd’hui jusqu’à penser que TOUS les enfants sont démoralisés par l’éducation perverse qu’ils ont reçue.

C’est, en effet, l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. (Métaphysique A, 2, 982 b 10, trad. J. Tricot, Vrin.)

29 L’enseignement Philosophique, juillet-août 2004, p. 71.

30 Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Folio-Essais, Gallimard, 1995, pp. 52-56.

31 Cela s’inscrit dans un vaste mouvement qui a commencé à partir de 1997. Sans concertation, des formations à la méthode lipman ont eu lieu dans les IUFM (Marc Bailleul à Caen et Emmanuelle Auriac-Peyronnet à Clermont-Ferrand) suivies d’expérimentations dans les classes (en particulier Gilles Geneviève à Caen) et des pratiques ont été mises en place et développées dans les classes des écoles et des collèges (Alain Taurisson dans la Creuse, Pascal Chevalier à Rouen, Anne Lalanne à Montpellier, Alain Delsol à Narbonne avec Michel Tozzi, Agnès Pautard dans la région lyonnaise avec Jacques Lévine, la Fondation 93 et les intervenants-philosophes qui collaboraient avec elle, Jean-Charles Pettier, Thierry Bour et Oscar Brenifier dans la région parisienne, et moi même à Poitiers.)

32 D’une demie heure par quinzaine en grande section de maternelle à une heure semaine en SEGPA au collège.

33 Voir le site internet www.europhilo.net.

34 D’abord, l’entretien philosophique de groupe à fort guidage de l’enseignant ou philosophie socratique ; ensuite, l’assemblée démocratique et compétences philosophiques ; puis la philosophie pour enfants de Lipman dont nous avons déjà parlé ; Le Courant des préalables à la pensée philosophique ou Philosophie naturelle ; et enfin la nôtre, la méthode de l’intervenant ou Philosophie populaire.

Voir : La méthode de l’intervenant, Diotime / l’Agora, n°17, mars 2003 http://www.crdp-montpellier.fr/ressources/agora/D017046A.HTM

 

 

Laissez un commentaire