Hegel, enseigner la philosophie


La démarche mise en œuvre dans la familiarisation avec une philosophie riche en contenu n’est bien aucune autre que l’apprentissage. La philosophie doit nécessairement être enseignée et apprise, aussi bien que toute autre science. Le malheureux prurit qui incite à éduquer en vue de l’acte de penser par soi-même et de produire en propre, a rejeté dans l’ombre cette vérité ; – comme si, quand j’apprends ce que c’est que la substance, la cause ou quoi que ce soit, – je ne pensais pas moi-même, comme je ne produisais pas moi-même ces déterminations dans ma pensée, et si elles étaient jetées en celle-ci comme des pierres ! – comme si, encore, lorsque je discerne leur vérité […    ], je n’acquérais pas moi-même ce discernement, je ne me persuadais pas moi-même de ces vérités ! – comme si, une fois que je connais bien le théorème de Pythagore et sa preuve, je ne savais pas moi-même cette proposition et ne prouvais pas moi-même sa vérité ! Autant l’étude philosophique est en et pour soi une activité personnelle, tout autant est-elle un apprentissage, l’apprentissage d’une science déjà existante, formée. Cette science est un trésor renfermant un contenu acquis, tout élaboré, façonné ; ce bien héréditaire existant doit être acquis par l’individu, c’est-à-dire appris. le maître le possède, il le pense d’abord, les élèves le pensent ensuite. Les sciences philosophiques contiennent, de leurs objets, les pensées universelles vraies ; elles sont le résultat produit par le travail des génies pensants de tous les temps ; ces pensées vraies surpassent ce que parvient à produire, avec sa pensée, un jeune homme non cultivé, tout autant que cette masse de travail génial surpasse l’effort d’un tel jeune homme. La représentation originelle, propre que la jeunesse a des objets essentiels, est, pour une part, encore tout à fait indigente et vide, et, pour une autre part, en son infiniment plus grande partie, elle n’est qu’opinion, illusion, demi-pensée, pensée boiteuse, et indéterminée. Grâce à l’apprentissage, la vérité vient  prendre la place de cette pensée qui s’illusionne. Une fois que la tête est pleine de pensées, alors seulement elle a la possibilité de faire avancer la science et de conquérir en elle une originalité vraie ; […] l’étude philosophique doit avoir en vue essentiellement ceci, à savoir que, grâce à elle, quelque chose soit appris, l’ignorance chassée, la tête vide remplie de pensée et de contenu consistant, et que cette originalité naturelle de la pensée dont il a été question, c’est-à-dire la contingence, l’arbitraire, la particularité de l’opinion, soit expulsée.

(G. W. F. Hegel, rapport à Niethammer, Textes pédagogiques, traduction Bernard Bourgeois, Vrin, p. 142-143)

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